Je est-il un autre-Brahim Senouci

 


 

Non seulement il n’en a rien été mais c’est le contraire qui s’est produit. Ils se sont progressivement éloignés du modèle dominant et se réfugient de plus en plus dans une altérité apparemment irréductible. Cette phrase n’est peut-être pas tout à fait exacte. Est-ce réellement une volonté délibérée de leur part de se soustraire à la communauté nationale ou faut-il y voir une conséquence directe d’une certaine affirmation de l’universalité de la civilisation occidentale, qui nie leur propre être culturel ? Plus compliqué encore : ils ne connaissent pas vraiment cet être culturel en question. Ils n’en ont que les vagues notions grommelées par leurs parents au détour de trop brèves conversations. Mais ils ont le désir de le retrouver et ils perçoivent l’injonction à l’assimilation comme une interdiction de partir à sa découverte. Ajoutons à cela, pour faire bonne mesure, qu’ils sont très largement revenus du mythe d’un Occident vertueux et universel.

« Je est un autre », disait le poète. Aucune lecture n’épuisera la force de cet aphorisme de Rimbaud, aucune. J’aime toutefois à lui trouver une traduction terre-à-terre. Ainsi, cette phrase mystérieuse pourrait suggérer que l’identité passe par l’altérité, ce qui est loin d’être la définition commune par les temps qui courent. « Je est un autre » implique que mon identité se forge par les intégrations successives des identités plurielles qui m’environnent, un peu comme ce bébé construit son caractère en s’identifiant à sa mère, à son père, à sa fratrie… Si cela avait cours, l’intersubjectivité serait la règle. Rappelons que cette notion renvoie au fait de porter un jugement sur un « autre » à partir de la grille de lecture de l’autre, en se mettant « complètement à sa place ».

Nous n’y sommes pas…

L’Occident, en dépit des massacres commis tout au long des siècles, garde la même matrice de lecture du monde, le même regard essentialiste. Pour ceux qui en douteraient encore, qu’ils sachent qu’en ce moment, la notion de race revient en force dans le débat Français. Finkielkraut, le Dupont-Lajoie académicien, le Botul philosophe de l’inimitable classe intellectuelle française, a sonné le départ en annonçant que oui, les races existent (Mais enfin, vous voyez bien que les Noirs sont tout noirs et les jaunes tout jaunes, voici le cœur de l’argumentation sophistiquée du grand philosophe). Il est impossible d’en appeler au secours de l’intersubjectivité pour essayer de glisser une part de Soi dans le débat. Nous n’aurions le droit d’y assister qu’en tant que partisans et demandeurs d’assimilation. Il y a bien des « idiots utiles » pour tenir ce rôle avec enthousiasme. Pour les autres, celles et ceux qui ne rêvent pas de s’incarner dans la peau de Henri-Lévy ou de Taguieff, tant pis pour eux !

En Israël, cet autisme à l’égard du monde « non blanc » a trouvé sa pleine expression. Là-bas, la société s’émeut du trouble que lui causent les Palestiniens. Elle s’indigne de la difficulté pour un colon juif de se promener en toute liberté à Jérusalem-Est ou à Hébron, alors même que l’armée a pris soin d’assigner à demeure les Palestiniens pour assurer sa tranquillité. Elle s’indigne de ce que des voix faibles osent un murmure de protestation face aux massacres commis régulièrement par son armée. Cette société est sincère. Elle est réellement choquée de ne pas jouir, en toute tranquillité, des fruits d’une rapine commise il y a près de 70 ans …