Paris et le monde de demain-B.Senouci

 



Le temps est à l’émotion. Il faut laisser celle-ci s’exprimer pleinement, dans le rassemblement solidaire. Pourtant la raison ne doit pas perdre ses droits. Rien ne serait pire qu’une lecture erronée du drame parisien.

Déjà, des voix bien connues s’élèvent, celles-là même qui déversent leur haine télévisuelle, qui annihilent l’intelligence et installent à tout prix une grille de lecture dans laquelle un ennemi stéréotypé, essentialisé, est déclaré coupable pour l’éternité…

Le simplisme alimente la haine. Les va-t-en guerre le savent bien, eux qui s’évertuent à caricaturer la réalité. Ils arrivent parfois, hélas, à leurs fins. C’est ainsi que, sur la base d’un mensonge avéré, l’Irak a été démantelé. C’est ainsi que Daesh est né ! La Libye a connu le même sort : sous prétexte d’éliminer un dictateur, on a détruit le fragile équilibre qui maintenait une relative cohésion entre les différentes tribus qui constituent ce pays. A présent, la Libye constitue une réserve inépuisable de terroristes et d’arsenaux à ciel ouvert où l’on trouve la fine fleur de la technologie militaire occidentale.

Bush mène une retraite paisible sur les greens de golf des Etats-Unis. Blair a été nommé représentant du quartette pour la Paix au Proche-Orient. Aux dernières nouvelles, il aurait même un plan de résolution du conflit israélo-palestinien ! Netanyahu agite le spectre du nazisme quand l’Union Européenne prend une bien timide initiative qui consiste à étiqueter les produits israéliens issus des colonies que le monde entier, Etats-Unis compris, déclare illégales. Quant à Sarkozy, il aspire à présider de nouveau aux destinées de la France.

La diplomatie, art délicat, exclut la brutalité. Son échec est synonyme d’entrée en guerre. Les leaders occidentaux doivent se le rappeler sans cesse, surmonter leur force et éviter de se conduire comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, ignorants des dégâts qu’ils occasionnent et de leurs retombées à terme. A défaut, ils continueraient de semer la colère et la haine et de livrer la jeunesse désemparée des pays victimes aux prophètes de malheur.

Aujourd’hui, il est problématique pour un Européen d’aller se dorer sur une plage tunisienne, de prendre un avion pour Charm-el-Cheikh. Les files d’attente s’allongent dans les aéroports en raison de contraintes de sécurité de plus en plus lourdes. Il sera de plus en plus compliqué de dîner au restaurant, d’assister à un concert ou d’aller au stade pour supporter son équipe favorite. Cette situation ne peut que s’aggraver. Les espaces de liberté vont se réduire de plus en plus. A terme, c’est un horizon d’appauvrissement et de guerre qui se dessine.

Fatalité ? Non. Pour démentir cette sombre perspective, il faut une tout autre politique, respectueuse des peuples. Tant que l’Occident s’accommodera de la mort de millions de Congolais pour garantir son approvisionnement en coltan (matériau sans lequel nos téléphones portables seraient muets), cette sombre issue est inéluctable. Ce sera également le cas tant qu’il considérera la planète comme sienne, qu’il peut modeler à sa guise, et ceux qui la peuplent en dehors de sa sphère comme des indus occupants. Et s’il continue de succomber à la tentation d’attribuer les coups qu’il subit à l’Islam, comme le lui suggèrent de doctes, rassurants et nombreux "spécialistes de l’Islam", en faisant mine d’ignorer que les jeunes illuminés qui commettent les massacres ne connaissent pas un traître mot du Coran, il y aura de quoi s’inquiéter pour la pérennité de notre tout petit monde !