Mémoire et devenir-Brahim Senouci

 


Les images se télescopent parfois. La tragédie convoque parfois son contraire, la farce. Relève de cette catégorie l’épisode du tweet commis par un premier ministre français particulièrement indélicat et qui, à l’évidence, n’a guère de considération pour l’Algérie.

De fait, cette initiative qui consiste à montrer au monde l’image d’un vieil homme terriblement diminué ne le grandit pas. Peut-être exulte-t-il du bon tour qu’il a joué à l’Algérie mais cela n’a pas vraiment d’importance. L’essentiel est ailleurs : dans cette incarnation forcée de l’Etat dans un vieillard aphasique, dont tout nous dit qu’il n’est plus aux affaires et que la fiction dont il est le « héros » a fait long feu.

L’essentiel est aussi dans la découverte de la désinvolture avec laquelle les plus hauts personnages de la République française traitent leurs homologues algériens sans encourir une réelle admonestation. Souvenons-nous de ces ministres de la République fouillés au corps dans les aéroports parisiens, au mépris des usages diplomatiques, sans réaction notable de l’Etat Algérien.

En fait, On ne sait si le grotesque l’emporte sur le scandaleux. Ces deux registres ressortent avec une évidence aveuglante quand ces « menus » incidents sont considérés avec l’enfumade des Ouled Riah en perspective. Ils constituent le fond de la pantomime de nos « gouvernants » dansant sur le rythme tragique des bœufs, des moutons et des ânes piétinant hommes, femmes et enfants dans leur bousculade effrénée vers la minuscule, la dérisoire poche d’air qui subsiste sur l’immense roche qui obstrue l’entrée de la grotte. C’est la danse des canards sur la musique du « Crépuscule des Dieux » de Richard Wagner…

Mais comment ces « canards » se maintiennent-ils au pouvoir depuis si longtemps ? Pourquoi le peuple ne leur signifie-t-il pas leur congé ?

La mémoire ! Bien sûr, les Algériens ont une vague connaissance des drames dont la période coloniale a été prodigue, notamment durant ses sept dernières années. Malheureusement, la désillusion a été quasi immédiate. La libération du pays s’est d’abord traduite par la guerre des wilayas et la prise du pouvoir par une coterie constituée des gens qui avaient le moins de légitimité pour y prétendre. Ces gens ont imposé le silence et l’obéissance aveugle au peuple qu’ils étaient censés avoir affranchi…

Ceux des dirigeants du FLN révolutionnaire qui étaient porteurs d’idéaux démocratiques et pluralistes ont dû s’exiler. Certains ont été tués. L’Algérie accédait ainsi à l’indépendance sous le sceau de la dictature et du primat de l’incompétence. Notre pays a glissé ainsi vers sa réalité actuelle, celle d’une proie mise à l’encan, promise après dépouillement total à l’enfer de l’éclatement dans une partition sanglante.

Vision pessimiste ? Réaliste en tout cas. Mais le pire n’est jamais sûr. Il l’est d’autant moins que le peuple est capable de prendre son destin en mains et travaille à déjouer MAINTENANT le scénario fatal. Cela suppose une prise de conscience de la réalité et de l’ampleur du danger. Cela suppose de secouer des décennies d’apathie et de renoncement. Ces conditions seront réunies en convoquant la mémoire des tragédies passées, en rappelant l’interminable cortège de nos morts qui nous dit l’immense tragédie qui a présidé à la libération de notre pays. C’est à l’aune de cette histoire tragique que nous devons nous mesurer, nous compter, nous imposer l’ardente obligation de parachever notre guerre de libération en nous libérant de nos chaînes intérieures. Notre point d’appui, notre patrie, se tiennent dans une mémoire oubliée, occultée, dont l’urgence commande d’en retrouver le fil. C’est à ce prix que nous redonnerons son sens au combat séculaire de nos aïeux…