A.KHELIL-L'algérie et l'après pandémie

 

QUAND LA BONNE GOUVERNANCE FAIT DÉFAUT 

 

Dans tout ce qui nous arrive, il faut dire que l’État a négligé pour ne pas dire détruit sciemment tous les instruments essentiels concourant à la bonne gouvernance. Il s’agit notamment : de la Démocratie, du respect des avis et de l’expertise, des systèmes avérés de planification, du recours à la statistique et à la prospective dans le cadre d’une stratégie globale mises en veilleuse par l’équipe néolibérale de l’ère Bendjedid. Les dégâts ont été fortement accélérés durant l’ère du « boutéflikisme » marquée par des esprits vaniteux et arrogants, du : « Je sais tout, sur tout ». Pas besoin pour eux les adeptes des thèses du FMI et de la Banque mondiale, d’éclairer et baliser la voie du développement de leur peuple et de leur pays. Ces ministres « coopérants » ne pouvaient pas faire confiance en leurs cadres et notamment, ceux encore intègres et proches des intérêts de leur pays. C’est pourquoi, ils furent écartés des centres de décision.

Avec une manne colossale de près de 1.500 Milliards de dollars US, le président déchu aurait pu se comporter en « bon père de famille », s’il avait réellement « gouverné » et recherché le bien-être de « son » peuple et s’il était animé par cette volonté de préparer l’avenir des générations futures, en utilisant à bon escient cette manne financière. Au lieu de cela, il ne s’est contenté que de nous vendre une feuille de route appelée pompeusement « programme du président » ce « fourre-tout »  qui dans la réalité, n’était qu’un simple agrégat d’actions disparates, sans cohérence et surtout, sans lien avec l’économie des activités productives. Elle était sans cap ni horizon stratégiques et avait pour but de permettre l’installation d’une oligarchie sans foi ni loi. Ces oligarques aux dents longues, attirés par une « relance économique »dominée par la prédation des terres agricoles à fortes potentialités, par le bitume, le béton et la promotion immobilière de la « issaba », dans un contexte émaillé de scandales de corruption à répétition.

   Les effets collatéraux ont été surtout : un arrêt de toute velléité de développement autonome de notre économie, un manque flagrant de lisibilité et une perte de confiance pour nos partenaires. Surtout les véritables acteurs nationaux de l’économie productive qu’on a délibérément isolés, éliminés et broyés par l’émergence de l’économie de bazar que certains oligarques ont voulu nous « vendre » comme le « véritable moteur » et le levier du développement, du bien-être et de la croissance. Plus grave encore ! À défaut de créer des emplois productifs durables, on a laissé mourir des jeunes par milliers dans le ventre de la Mer Méditerranée qui consigne dans ses fonds marins, l’Histoire de l’échec d’une Algérie, pourtant relativement riche et détenant de nombreux atouts n’eût été la politique de rapine et de prédation instituée en système.

Comme ils ont négligé et mis une croix sur d’autres milliers de cadres aux compétences avérées, forcés à l’exil et dont bon nombre d’entre eux, sont employés dans de grandes universités et centres de recherches, comme professeurs et chercheurs, mais aussi ingénieurs et technologues dans des bureaux d’études et des grands groupes où leurs expertises sont fortement recherchées.N’est-ce pas aussi que c’est dans le «royaume » de « fakhamatouhou », qu’un de ses courtisans, de surcroît ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique avait osé déclarer de façon intempestive que : « l’Algérie n’avait nul besoin d’avoir de prix Nobel» ?

Eh, oui ! Ainsi pensent les « canassons » qui n’arrivent pas à se défaire de leurs « litières », après avoir chassé les étalons à grands coups de sabots par traîtrise, pour rester seuls dans la quiétude de leurs pitoyables « écuries » de la régression. Dans tout cela, le souci premier du président déchu qui se soignait en France et en Suisse, était la réalisation de la grande mosquée d’Alger, la troisième au monde avait-il exigé et celle au minaret le plus haut possible. Tout cela, pour ne glorifier que sa seule postérité, sans songer à aucun moment à impliquer nos grandes entreprises publiques et nos artisans dans ce grand « projet pharaonique ». N’aurait-il pas été opportun de faire de cette méga-mosquée, un pôle d’excellence ouvert à l’entre-aide médicale internationale, dès lors qu’il dispose de tous les atouts et commodités nécessaires ? N’est-ce pas là aussi, une belle manière de restaurer l’image d’un pays totalement inscrit dans les principes d’un Islam tolérant, ouvert à la solidarité entre les peuples ?

Pour ne prendre que l’exemple du secteur de la santé sur lequel tous les phares sont actuellement braqués, nos médecins en exil participent à la lutte contre les « déserts médicaux » français, à défaut de n’avoir pas pu disposer des conditions idoines pour l’exercice de leurs spécialités dans les établissements hospitaliers algériens, gérés de

façon lamentable et avec une incompétence crasse. Cette situation ne touche pas que nos régions les plus reculées des Hauts Plateaux et du Sud qui souffrent au quotidien, le calvaire de l’indigence sanitaire et de bien d’autres frustrations à caractère socio-économique. Oui ! Ils n’auraient certainement pas été de trop en ces moments difficiles, aux côtés de ce corps médical et paramédical courageux et animé d’une volonté de fer qui, au risque de sa vie, mène vaillamment sans répit et en dépit de toutes les insuffisances observées, un combat sans merci pour sauver des vies, même s’il faut souligner que certains énergumènes inconscients ne lui facilitent pas la tâche, passant outre les mesures prises de confinement et qu’il faudra bien sanctionner sévèrement pour leur incivilité et la mise en danger de la vie d’autrui.

Cette communauté savante de l’engagement du cœur qui accomplit son devoir avec courage et abnégation, mérite bien, toute notre reconnaissance et notre soutien moral et matériel. Elle mérite largement les félicitations qui lui ont été adressées dernièrement par le Président de la République. Quand on voit cela, nous sommes pris par ce sentiment de regret de tout ce que nous n’avons pas su, voulu et pu faire, ou dont on nous a privés pour traverser sans grands dégâts, les situations difficiles auxquelles nous pouvons être confrontées. Mais aussi, pour faire face au moins à la crise économique qui pointe à l’horizon, lorsqu’on sait tout l’intérêt que portent nos concitoyennes et concitoyens aux valeurs humanistes de l’entre-aide et à la solidarité agissante.

QUAND LE COVID-19 STIMULE LA SOLIDARITÉ ET L’ESPRIT D’INITIATIVE 

Réussir dans la vie, c’est donc être conscient de cette chose importante que chacun de nous se doit de développer, à savoir : que toute réussite passe par la croyance en soi, sans avoir besoin d’emprunter la voie de la rapine, du détournement de la chose publique, du passe-droit, de la corruption et de toutes ses tares qui ont valu à notre pays, d’être classé dans le haut du tableau des États nuisibles pour leurs peuples. Il est certain que chacune et chacun de nous se demande ce qu’il adviendra quand nous remettrons le nez dehors, après la levée de notre confinement. Notre avenir de communauté utile et solidaire autour des valeurs vraiment humanistes, se dessine donc aujourd’hui après avoir tout d’abord tiré, tous les enseignements. Il ne faut pas que notre sortie de l’épreuve de la pandémie soit, comme de coutume, un coup pour rien.

La première leçon est que la pandémie du coronavirus a provoqué de salutaires prises de conscience chez notre jeunesse instruite et active qui s’est promis de bâtir un monde meilleur, celle qui doit être à l’avant-garde du Hirak en marquant sa disponibilité à se mettre au service du bien et en portant toujours haut le secours à autrui et à ceux qui en ont besoin. Quand les plus pessimistes parient sur des convulsions sociales et l’inefficacité du confinement, les optimistes, très nombreux parmi la frange juvénile, ont déjà commencé à multiplier les initiatives citoyennes pour venir en aide aux professionnels de la santé, lorsque les inconscients jouent aux dominos dans leurs quartiers populeux et se mettent en danger.

Tel est le cas par exemple de l’« Infinity Dental Club » ce club de jeunes dentistes

dynamiques et bénévoles, mais aussi, bien d’autres associations qui collectent à l’échelle nationale du matériel médical pour les hôpitaux mal équipés. Il y a également, ces entreprises qui se mettent à produire du gel hydro alcoolique, ces micros entreprises de jeunes et ces centres de formation professionnelle qui fabriquent des masques, des bavettes, des blouses et des visières pour le corps médical et paramédical, lui qui dès les premiers jours de la pandémie se trouve en première ligne du front de résistance et de lutte pour juguler le mal.

Notre Armée Nationale Populaire n’est pas aussi en reste dans cet effort de solidarité agissante en direction d’un peuple qui ne rate aucune occasion pour exprimer comme il se doit, ses valeurs humanistes. Des remerciements doivent être adressés aux équipages de ces deux avions qui en 48 heures, ont pu ramener aux hôpitaux un premier lot d’équipements à partir de la Chine. Mais aussi, à ces policiers et à ses gendarmes qui veillent parfois sans masque au respect des mesures de confinement et aux pompiers toujours débordés, qui risquent leurs vies au contact des personnes atteintes, ainsi qu’aux agents de nettoyage qui dans des conditions pas toujours adéquates veillent eux aussi, à la propreté de nos villes et villages et à la désinfection des espaces publics …  

Les scientifiques commencent à prendre des initiatives, à l’instar de ces professeurs de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou qui se sont lancés dans la production locale de solutions hydro-alcooliques, pour parer la « petite pénurie » constatée dans le sillage de la prévention contre le coronavirus. Cette initiative est à généraliser à l’ensemble de nos universités dont les laboratoires de chimie, de médecine, de biologie et de pharmacie doivent se décarcasser pour apporter leur contribution à l’effort de solidarité nationale.

En plus de cette université, il est à mentionner les activités de l’équipe du service de Microbiologie du CHU de Tlemcen, Faculté de médecine de l’université Abou Bakr Belkaid qui a installé elle aussi, un laboratoire de biologie moléculaire de dépistage et diagnostic du Covid-19. À signaler que le premier essai de validation de la technique a été couronné de succès, ce lundi 6 avril 2020. Six autres universités s’apprêtent à lancer le dépistage du coronavirus, dès la réception des kits et des réactifs nécessaires, prévue au cours des très prochains jours. C’est ce qu’a souligné le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

NE DIT-ON PAS QU’À QUELQUE CHOSE MALHEUR EST BON ?

L’entreprise nationale de l’industrie électronique (ENIE) s’est lancée dans la conception et la fabrication d’insufflateurs artificiels et de respirateurs automatiques pour faire face aux déficits des hôpitaux en équipements. Le prototype a été spécialement conçu, développé et configuré pour répondre aux besoins des patients dont les capacités respiratoires auraient été affectées des suites d’une infection virale, ce qui nécessite une assistance automatisée pour le maintien de la fonction respiratoire. De même, le groupe public Textiles et cuirs (Getex) qui dispose de 23 unités et de 8.000 travailleurs, a lancé à travers ses unités, la fabrication de masques de protection en vue de participer à l’effort national de lutte contre la pandémie du coronavirus. Saidal, le fleuron public de notre industrie pharmaceutique, va aussi produire de la « chloroquine » une fois les matières premières reçues de l’étranger. Le groupe fabrique déjà des quantités importantes de gel hydro-alcoolique indique le directeur marketing.

Ces exemples sont là pour dire, que se posera avec acuité la question de la nécessaire réhabilitation et transformations structurelles du secteur public que les politiques anciennes ont démantelé et désarmé au profit du système de « l’import-import », grand générateur de profits colossaux pour les oligarques et avec les ressources publiques. Le processus de ré industrialisation de notre espace économique doit être lancé à la lumière d’un bilan sérieux, afin d’augmenter la résilience économique et sociale de la population, tant du côté de la demande sociale en matière de santé, d’éducation, de formation et d’emplois, que du côté de l’offre en biens et services.

Oui ! Il faut croire que le coronavirus a quelque chose de positif. Il a remis en cause le néolibéralisme sauvage cette sangsue des peuples démunis. Après l’effritement des solidarités en Europe,les États décomposés, appliquent la fermeture drastique de leurs frontières aériennes et terrestres, même s’ils sont moins regardants sur les frontières maritimes, sachant que 90 % des échanges mondiaux passent par les océans. Pour ce qui est de la circulation des personnes, il en va autrement et il y a fort à parier que leurs frontières ne rouvriront pas de sitôt, dans un contexte de peur accrue en Occident, de vagues migratoires en provenance d’Afrique. Tant mieux !

Quand le monde se remettra à tourner, il est attendu de nos pouvoirs publics, une « réparation » urgente des dysfonctionnements dans les services publics et particulièrement dans les domaines de la santé, de la solidarité, de l’éducation, de la Recherche … Une fois la peur passée, il ne faut pas chercher à revenir aux positions habituelles. Cette crise sanitaire renforce un peu plus le sentiment d'impuissance que nous éprouvons face à la mondialisation et aux risques majeurs, comme la sécheresse par exemple. Tout doit changer ! L'enjeu, est de retrouver notre souveraineté, de reprendre le contrôle de notre destin, en nous inscrivant dans une politique du compter-sur-soi (nous y reviendrons dans de prochains articles). L’élan du cœur y est ! Il va falloir le nourrir et le faire grandir !

Il nous faut protéger la communauté des abeilles qui font du miel pour la « maison Algérie » en la mettant dans les meilleures conditions de travail et en dressant autour d’elle, un rempart infranchissable pour la prémunir de ces bourdons nuisibles qui empêchent le pays d’avancer. Il nous faudra sortir de notre « complexe du colonisé » dont la virulence est supérieure à celle du COVID-19. Nos jeunes sont capables de créer pour peu qu’ils considèrent que l’esprit du Hirak mis entre parenthèse, doit prévaloir cette fois-ci, dans la réalisation du travail productif, dans l’innovation et dans la moralisation de la vie publique. Il faut finir par se convaincre que la meilleure des richesses est dans l’investissement humain. Il faut savoir que l’avenir n’est plus du côté des nations européennes vieillissantes qui ne procréaient plus. Il appartient aux pays jeunes comme le nôtre …

                                                                                                                         * Professeur