A.KHELIL- Plaidoyer pour une agriculture oasienne


Ne dit-on pas que : « Chat échaudé craint l’eau froide ? » Alors, oui ! Quand bien même l’on venait à changer de « fusil d’épaule » en y apportant plus de rigueur dans la gestion des fonds publics, est-il raisonnable et indispensable de se lancer encore une fois, dans cette aventure à gros risques écologiques, économiques et sociaux
sans faire au préalable, une évaluation scientifique rigoureuse de ce qui a été entrepris dans ces régions sahariennes depuis le début des années 1980 avec la politique aventureuse de l’accession à la propriété foncière agricole (APFA) ? N’a-t-on point besoin, ne serait-ce que par souci d’anticipation sur un risque latent,  de tirer d’abord tous les enseignements, afin de corriger tout au moins la trajectoire des projets et des « coups partis » en révisant les superficies à la baisse ? Telle, devrait être, l’attitude de tout esprit précautionneux, car nous ne sommes jamais suffisamment vigilants et attentifs, lorsqu’il s’agit de veiller sur la préservation de la chose publique. Tout cela a été dit et rappelé dans un article précédent (Quotidien d’Oran, jeudi 28 mai 2020).

Il faut aussi savoir raison garder, car mettre le cap « plein gaz » sur le Sud, en mode hussarde et sans crier gare, équivaut à faire oublier, en dépit du bon sens, que l’agriculture prospère a toujours eu pour assiette d’accueil (et ce depuis l’invasion romaine), les terres fertiles des régions du Nord et les grands espaces céréaliers des Hauts-Plateaux d’Ouest en Est, en association avec l’élevage et le pastoralisme. C’est aussi faire l’impasse sur d’énormes réservoirs de productivité au niveau des plaines et périmètres irrigués des régions sub-littorales, des plaines intérieures et des espaces montagneux, où les conditions optimales d’exploitation du foncier agricole n’ont pas encore été toutes atteintes faute de politique adaptée. Le coût faramineux de l’aménagement de la plaine d’Abadla et les conséquences qui en ont découlé, devraient nous appeler à la prudence.

À bien réfléchir et à bien vouloir se donner la peine pour travailler dur, nous avons encore la possibilité de réduire considérablement notre dépendance alimentaire en mettant en oeuvre les politiques agricoles les mieux appropriées. Ces dernières, doivent être en adéquation avec les caractéristiques pédoclimatiques de chacune des entités géographiques dans la conformité d’un mode de consommation recentré sur l’essentiel de nos besoins alimentaires, en y apportant tous les moyens pour valoriser, moderniser et rationaliser au mieux, le travail de la terre sur des millions d'hectares sous exploités, convoités et fortement soumis à la prédation de nature multiple.

Cette question étant largement développée dans mon article « Sécurité alimentaire : une priorité absolue » (Quotidien d’Oran du 16 avril 2020), je ne parlerai ici que de céréaliculture, où il me semble plus judicieux d’apporter une simple irrigation d’appoint en période de stress hydrique (mars-avril) au niveau des espaces céréaliers des Hauts-Plateaux et des plaines intérieures, au lieu de chercher à la développer dans les régions sahariennes. Mais pourquoi vouloir le faire en dépit de tout bon sens, lorsque les expériences jusque là entreprises ont montré qu’au bout de la troisième année, les rendements commencent à baisser en raison de la salinisation des sols, nonobstant les coûts élevés en matière de forte consommation d’eau à partir d’une nappe fossile non renouvelable et d’énergie électrique ? Sommes-nous obligés comme certains rentiers à l’image de l’Arabie Saoudite, à produire du blé pour 1.000 dollars US, la tonne ?

Avec plus de 5 Milliards de m3 de ressources superficielles mobilisés, il est largement possible d’apporter dès à présent, un appoint d’eau aux espaces céréaliers des hautes plaines du Sersou, du Titteri, de Bouira, du Hodna, de Hama Bouziane, de Guelma, de Barika, de Khenchela …, tout en cherchant sa généralisation progressive à d’autres terroirs. Dans ce domaine, l’étude menée par le BNEDER, a dégagé une possibilité d’irrigation à hauteur de 1.200.000 hectares sur un potentiel de 3.300.000 hectares réservés à la céréaliculture, dont à peine 95.000 hectares sont équipés en moyens d’irrigation. Cet appoint d’eau sur un peu plus du tiers de la sole céréalière ne nécessiterait en termes d’équipements (selon ce bureau d’études) qu’une enveloppe financière de 150 Milliards de dinars, soit à peine l’équivalent du coût de 40.000 logements sociaux. C’est dire, que ce premier pas gigantesque à accomplir dans les plus brefs délais, est tout à fait à notre portée ! Alors ! Pourquoi ne pas le faire ? A-t-on peur de réduire nos importations, ou y-a-t-il à cela une autre explication ? Qu’on nous le dise !

   Quant à moi je dirai que cette opération, convenablement encadrée et soutenue par l’État, se doit d’être orientée de façon prioritaire sur les exploitations agricoles de 10 à 50 hectares qui disposent (selon l’étude menée en 2002 par le MADR) de 50% de la surface agricole utile et sur celles de plus de 50 hectares qui détiennent 23% de la S.A.U. C’est à ces deux niveaux, que peut être pratiquée une agriculture moderne, qui devrait couvrir près de 70% de nos besoins, sur la base d’un rendement moyen de l’ordre de 50 à 55 quintaux à l’hectare en irrigué. C'est donc, dans une vision de complémentarité inter spatiale qu'il faut inscrire le développement des régions sahariennes, en invitant des experts et chercheurs à s'exprimer objectivement sur cette stratégie de développement des cultures industrielles en milieu saharien.

QUEL PROJET POUR LA SOCIÉTÉ OASIENNE DE DEMAIN ?

Pour aborder cette question vitale pour la population oasienne, mon étudiante et moi, avons entrepris en 2009 dans le cadre de travaux de recherches en vue de l’élaboration d’une thèse de doctorat sur : « L’émergence d’une dynamique d’écotourisme dans le Gourara », un premier sondage d’opinion après validation du questionnaire en séances de concertation auxquelles ont pris part : le chef de daira de Timimoun, les Présidents d’APC de Timimoun et d’Ouled Saïd, les représentants de la société civile, les services techniques, les directeurs de deux lycées, le directeur du centre de formation professionnelle, les responsables d’agences touristiques et des agriculteurs. La structure de l’échantillon enquêté (604 personnes) est donnée comme suit :

15 à 20 ans …………………………………………………………………………………………………………… (161) 21 à 30 ans …………………………………………………………………………………………………………….(164) 31 à 40 ans ………………………………………………………………………………………………………….. (25) plus de 40 ans ……………………………………………………………………………………………………….(74) Agriculteurs …………………………………………………………………………………………………………. (94)         Artisans ………………………………………………………………………………………………………………. (80) Agences touristiques…………………………………………………………………………………………            (6)

Par catégorie d’âge, la population enquêtée se répartit en : 77% de moins de 30 ans et 23% de plus de 30 ans. La prédominance de jeunes se justifie par le fait que le projet projeté devait concerner en premier lieu, cette catégorie.

Danscet article orienté essentiellement sur l’agriculture oasienne, ne sont rapportées que les conclusions tirées des entretiens qu’a eu la doctorante avec les agriculteurs lors de ses visites à travers les ksour de Badriane, Zaouiet El Hadj Belkacem, Béni Mehlal, Lichta, Béni Mellouk, Ouled Taher, Taouarsit, Messahel, Ouajda et Ouled Saïd, dans la daïra de

Timimoun. La finalité de ce travail préliminaire avait pour objet de dégager une voie alternative entre (2) modes d’agriculture : L’une oasienne de type familiale, peu rémunératrice de l’effort de la petite paysannerie et l’autre, basée sur la grande mise en valeur, fortement décriée de par son impact négatif sur la préservation des équilibres des écosystèmes oasiens. Mais pour cela, il fallait d’abord écouter ce qu’avaient à dire les agriculteurs eux-mêmes !

À la question qui leur est posée : y-a-t-il un avenir possible pour l’agriculture oasienne ?, les agriculteurs ont considéré à plus de 90% que cette activité est en déclin et qu’elle risque même de disparaître. Cela est dû d’après eux, à la réduction des débits de la foggara, au vieillissement de la palmeraie, à l’absence de la mécanisation, à la cherté des facteurs de production, à la faible rémunération des activités agricoles, à l’absence de maîtrise des itinéraires techniques, d’appui et de soutien. Dans une proportion de 80%,  les agriculteurs ont estimé que la faible productivité de l’agriculture familiale tient au vieillissement de la main-d’œuvre et à la réduction des superficies.

Par rapport à la perception des aides de l’État : 79% des agriculteurs soulignent que les efforts de recherche, de vulgarisation et de mécanisation sont pratiquement inexistants. Pour ce qui concerne le soutien au titre du PNDA, des projets de proximité et de l’assistance de la chambre d’agriculture, c’est dans une proportion de 78%, qu’ils disent ne pas percevoir à leurs côtés, la présence des structures étatiques. Il en est de même pour les plants et semences sélectionnés auxquels ils n’ont pas accès. Quant à l’impact de la mise en valeur hydro agricole, 92% des agriculteurs ont considéré que les objectifs de développement du secteur agroalimentaire n’ont pas été atteints. De même, 76% ont estimé que cette mise en valeur n’a pas contribué à l’amélioration de la couverture locale en fruits et légumes et que très peu d’emplois ont été créés. Ce type de mise en valeur a même eu un effet négatif sur le fonctionnement et le débit des foggaras et sur la salinisation des sols, ont estimé 62% des agriculteurs.

Partant du principe que l’agriculture vivrière oasienne n’est pas de nature à assurer un revenu acceptable aux familles, nous avons demandé aux agriculteurs s’ils étaient disposés à s’investir dans la voie de l’agrotourisme. L’idée d’ouverture des palmeraies à de légers aménagements non bétonnés, aux fins touristiques, a été favorablement accueillie par la majorité des agriculteurs. Cependant : 60% d’entre eux ont considéré que ces travaux et équipements ne peuvent pas être réalisés sur fonds propres. La proportion de ceux qui adhèrent à la création de sociétés par actions (SPA) par exemple, est de 79%. Ils se sont également exprimés, dans une proportion de 77% pour un partenariat avec les promoteurs publics et privés. Tout cela souligne l’esprit d’entraide fortement ancré dans les us et coutumes de la région du Gourara.

CONCLUSION

En guise de conclusion, nous pouvons dire que la mise en valeur à caractère spéculatif et rentier qui fait l’impasse sur le palmier dattier et la culture à étages, même s’il fallait le considérer que comme arbre d’alignement des parcelles ou brise vent, n’est certainement pas le meilleur choix pour assurer la durabilité du développement agricole et de l’économie oasienne. Cette pratique non respectueuse de la fragilité des écosystèmes, devra laisser place à la reconstitution et l’extension du système oasien qui retient le palmier dattier comme élément pivot incontournable à la formation d’un microclimat propice à une activité agricole diversifiée. Cela veut dire que la pratique oasienne est à considérer comme le carburant et le levier indispensable à l’émergence de nouveaux établissements humains, indispensables au décongestionnement des grandes villes du Sud. Ce choix, en matière d’aménagement du territoire, suppose bien évidemment, la mise en place d’un cadre de veille stratégique et d’observation du milieu afin d’assurer les arbitrages nécessaires entre les intérêts des différents acteurs et partenaires de l’espace et souci de respecter les principes d’un développement durable de l’économie oasienne.

Or, il faut considérer dans tout cela, que l’agriculture oasienne n’assure même pas le minimum vital et n’arrive plus à faire vivre décemment les familles qui s’enfoncent dans la précarité et encore moins, à retenir à retenir les jeunes qui lorgnent vers les champs pétroliers de la région, ou migrent vers les régions du Nord, où ils s’improvisent vendeurs de thé alors que ne disposant d’aucun métier. Et pourtant, nous sommes censés détenir un potentiel de formation professionnelle important.

C’est à ce niveau que le département en charge de l’agriculture saharienne devra apporter son concours pour aider la petite paysannerie à s’organiser par elle-même, au sein d’un système de groupements pré-coopératifs et de coopératives de mise en valeur, de gestion et d’ingénierie de l’eau, de motorisation, de distribution et de transformation des produits oasiens, dès lors que la mentalité s’y prête, en y apportant l’encadrement technique et les moyens matériels nécessaires et indispensables. Ceci devrait s’accompagner par un accroissement des superficies à mettre en valeur dans le cadre du régime des concessions agricoles, selon le principe d’une polyculture associée au palmier dattier, en y intégrant les petits élevages pour la production de viandes et de produits laitiers, en vue de l’amélioration de la ration alimentaire en protéines animales de populations présentant des signes chroniques de malnutrition.

Apprendre à respecter la nature, à préserver les équilibres fragiles des écosystèmes et la dignité des gens est certainement, la meilleure manière de forger l’image d’un pays attentif à ces questions déterminantes pour le devenir de l’humanité. C’est pourquoi, il demeure essentiel d’envisager la mise en place d’un dispositif de « veille écologique », afin d’assurer l’essor d’une dynamique d’agrotourisme, dans l’intérêt de la population oasienne. Cette action d’observation continue du milieu, est d’autant plus impérative que, comme disait Victor Hugo : « c’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas ». Cet écotourisme en milieu oasien, reste pour l’essentiel, tributaire des solutions que doivent et peuvent envisager les pouvoirs publics quand la volonté politique est présente, quant au règlement des questions latentes : de remontée des eaux, d’assainissement des palmeraies, de protection des villes contre les inondations, de dysfonctionnement urbain et d’amélioration de la composante paysagère.

Cette option peut constituer une forme d’optimisation de la rentabilité des exploitations familiales à palmeraies généralement bayoudées, où se pratique une agriculture vivrière, peu rémunératrice de l’effort tenace de la petite paysannerie.La forme à privilégier, est celle d’un tourisme solidaire qui permettra à nos concitoyens de se retrouver dans la richesse de la diversité de leur territoire, en faisant ainsi, la pédagogie du « pays-continent » qui rassemble et consolide les liens d’amitié et de fraternité entre celles et ceux du Nord et du Sud. Nous avons aujourd’hui, besoin de cela parce qu’il est tout à la fois intolérable et inadmissible que la majorité de nos jeunes ne connaissent de leur pays, dans le meilleur des cas, que le chef lieu de leur Wilaya de résidence !

Comment alors, pourrions-nous nous accepter mutuellement, sans qu’on puisse apprendre à nous connaitre et à nous apprécier ? Il faut donc établir de véritables et durables ponts d’échanges du Nord vers le Sud qui nous interpelle par rapport à la question lancinante de l’emploi, en imaginant des formules mieux adaptées aux moyens financiers souvent dérisoires, de nos jeunes chômeurs, de nos étudiants, de nos écoliers, de nos retraités et de nos associations. C’est dans la permanence de cette mobilité que des emplois peuvent être créés et développés.

Faire voyager nos concitoyens des régions du Nord à des prix abordables, selon des modes de transport adaptés, équivaut à garantir la création de milliers d’emplois dans les secteurs du tourisme de masse et de l’artisanat ! Cela pourrait donner lieu à la création de micro-entreprises de réalisation de gites ruraux à l’intérieur des ksours et des palmeraies, en améliorant ainsi, le revenu des populations oasiennes, qui trouveront une raison valable et importante à la préservation de leurs patrimoines matériels, immatériels et de l’équilibre écologique. De même, à l’échelle urbaine, cette solidarité agissante en direction des régions du Sud, doit trouver son prolongement dans la domiciliation d’un bon nombre de manifestations culturelles, artistiques et sportives, de séminaires et de journées scientifiques et techniques des organismes étatiques et privés dans les villes du Sud, à partir de la recherche de formules de sponsors et de frais de participation symboliques. C’est là un signe fort et un ferment indispensable pour la cohésion sociale et l’unité nationale. C’est aussi, une réponse adéquate au cri de détresse qui nous est lancé par nos compatriotes et frères oasiens, mais pas seulement !!!

                                                                                                             *Professeur