A.KHELIL - POUR UNE MEILLEURE EFFICIENCE DANS LES ACTIONS...

 

   Même si le souci environnemental demeure un objectif primordial pour un pays comme le nôtre, redevable de la nécessité de préserver ses ressources et sa biodiversité, les services techniques en charge des programmes semblent oublier que le développement durable ne peut se réaliser sans l’implication et la participation conscientes des populations riveraines actrices essentielles dans tous les choix devant orienter et définir les actions à entreprendre.

  

Béni- Snous, cette merveilleuse contrée de montagne de l’extrême Est algérien

         où vit la famille du talentueux footballeur capitaine des verts, Ryad Mahrez.

Quel dommage et quel gâchis que cette attitude dirigiste, de l’Algérie « d’en haut » qui tarde à inscrire sa politique dans un dispositif clair et négocié avec les populations concernées et impliquées dans l’élaboration d’un « contrat-programme » inspiré par le principe du « gagnant-gagnant » ! Mais pourquoi tarde-t-on à interagir dans le sens de l’établissement de pareille osmose ?

   Il faut rappeler que si l’équilibre écologique a été rompu, que la fragilité et la dégradation des milieux montagnards se sont accélérées, ce n’est là, que la conséquence du processus d’appropriation et de dépossession de notre paysannerie, lié au fait colonial. C’est durant la dure période de l’occupation française au XIX ème siècle, qu’est apparu le clivage entre l’espace traditionnel « ghettoïsé » et l’espace colonial dominateur et hégémonique. Cette question est évoquée dans un premier article (cf. Quotidien d’Oran du 10 septembre 2020)et plus encore, dans monroman historique « L’insurgé »2 (à paraître au cours du mois de septembre 2021).

   Sans s’étaler davantage sur ce sujet, je dois dire que l’érosion et l’aridification du milieu montagnard dont a hérité l’Algérie indépendante n’est en fait, ni la conséquence directe d’une fatalité géographique, ni même, d’un mode de vie ou d’une croissance démographique mal contrôlée. Elle trouve plutôt son explication, dans la spoliation des terres et le souci d’en tirer le plus vite possible le meilleur profit par les colons au détriment bien sûr, de la population autochtone. Cette notion économique fondée sur le profit, contraste avec le souci de préservation des terroirs, du milieu et des écosystèmes où l’adaptation des modes d’exploitation des ressouces naturelles aux spécificités des agro-systèmes aurait dû être la règle.

   Alors, oui ! Il faut le dire haut et fort en le répétant autant de fois que nécessaire à nos congénères qui ont besoin de s’abreuver des enseignements de leur riche Histoire, notre paysannerie n’est en aucune manière responsable de cette crise de l’érosion des terres déclives, ce crime écologique commis par la France coloniale. C’est pourquoi, nos ingénieurs en agronomie et en foresterie, mais pas seulement, se doivent d’inscrire cette vérité en s’imprégnant de la sacralité de la terre nourricière, pour laquelle nos braves ont combattu.

   Ils gagneraient, Mrs les Ministres de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, à ce que leur soit enseignée la vraie Histoire de la colonisation agricole expurgée de ses propagandes des soldats français recyclés en colons laboureurs exploiteurs, sous la houlette du sanguinaire et non moins pyromane, Maréchal BUGEAUD. Pensez-y, je vous pris ! Car il m’attriste de dire que ce sinistre va-en-guerre continue à sévir même après sa mort. Ceux qui sont à l’origine des incendies du mois d’août 2021 (en vérité des compatriotes), ne sont-ils pas des émules de sa philosophie de la « terre brûlée » ? Quel malheur que ces traîtres, ces mercenaires soient arrivés à détruire le patrimoine ancestral que leur ont légué leurs aieux ! Cela s’est soldé par un bilan catastrophique en pertes de vies humaines, en couverture végétale livrant les sols à l’érosion, en emplois et en sources de subsistance pour les populations riveraines, de la sorte démunies face aux aléas de l’hiver tout proche. Cette situation lamentable a été vécue dans un profond déchirement par une population algérienne médusée mais qui gardée foi en sa solidarité légendaire.

   Alors, il faut agir très vite en prenant conscience que l’approche des « tuniques vertes » du corps forestier fortement orientée sur la pratique de reboisement dominée par l’utilisation de résineux et notamment du pin d’Alep (espèce très combustible) juste par facilité et geste routinier, ne saurait être Mr le Ministre de l’agriculture, une démarche appropriée pour faire face à cette catastrophe multidimensionnelle.

   Permettez-moi de vous rappeler, que malgré la volonté affichée pour la promotion du développement de la montagne à la faveur de la création des offices de mise en valeur en 1986 qui a enregistré quelques succès, c’est toujours le caractère sectoriel et techniciste qui prévaut au sein de la direction générale des forêts. L’on peut donc conclure, qu’il n’y a jamais eu de volonté forte à concevoir et à mettre en place une authentique politique consensuelle et participative pour le développement intégré, spécifique et durable.

   C’est pourquoi, toutes les mesures et actions préconisées jusque là, n’ont guère suffi pour enrayer le phénomène de l’exode, stabiliser les populations et encore moins, donner espoir aux jeunes de ces régions alors que des efforts colossaux ont été déployés par l’État au titre du désenclavement, de l’électrification rurale, de l’amenée du gaz dans bien des régions isolées et du développement des infrastructures socio-éducatives. Et ça continue en dépit de tout entendement !

   Force est donc d’admettre qu’en bout de course après plus de trois décennies de tâtonnements tout azimut, que la vision prospective, Mr le Premier Ministre, est la seule à permettre d’éclairer et de mettre en œuvre des politiques intersectorielles acceptées dans le cadre d’une nouvelle gouvernance à concevoir et à mettre en place par des actions bâties sur des principes clairs de complémentarité, de convergence, de partenariat, de solidarité intersectorielle, de synergie et de suivi-évaluation. Dans cette nouvelle démarche novatrice, doivent être mis à contribution : le monde associatif, la communauté des chercheurs, les collectivités territoriales, les représentants des populations locales, les capacités nationales d’études et de réalisation.

   L’application de ce nouveau mode de gouvernance est d’autant plus indispensable qu’au regard des milliers de « zones d’ombre » existantes et recensées, l’État est plus que jamais, interpellé sur cette question de revitalisation des zones de montagnes pour l’insérer dans le cadre référentiel d’une politique hardie d’aménagement du territoire, seule à même de prévenir le risque majeur qui pèse sur la cohésion sociale et l’unité nationale.

   Aussi, dois-je dire en complément des propositions que j’avais formulées dans mes deux dernières contributions parues sur le « Quotidien d’Oran » en dates du 19 et 26 août 2021, que c’est dans le processus d’émergence d’une authentique « économie territoire » privilégiant l’intérêt de l’homme et la promotion du monde rural dans le respect de son environnement, qu’il sera possible, de rétablir les équilibres globaux de ces espaces marginalisés afin d’assurer leur intégration au reste du potentiel productif de la Nation. L’objectif est non seulement, de freiner le déclin de ces écosystèmes sensibles, mais aussi, de contribuer à leur développement en vue de l’émergence d’établissements humains, économiquement et socialement viables.

   À partir de cette dynamique novatrice de pluri-activité et de complémentarité des actions et programmes, seront créées les conditions techniques, économiques, écologiques et sociales indispensables pour l’amélioration des conditions de vie et de revenus de la population. Mais aussi, pour la maîtrise des flux migratoires vers les grandes villes, l’équilibre régional et la cohérence dans le processus d’aménagement du territoire pour peu qu’il soit réhabilité dans ses missions stratégiques et non pas perçu comme un « département alibi » sans plus value ajoutée à la dynamique du développement local en terme de recherche de cohérence globale et d’économie d’échelle.

   La première chose à faire dans cette perspective, consiste donc à « casser » l’image négative que véhicule la mémoire collective de notre paysannerie qui perçoit la forêt, comme étant le domaine de l’interdit et de l’exclusion. Il faut que les riverains puissent enfin identifier la forêt, comme un milieu plus ouvert, que fermé à leurs préoccupations de subsistance et un potentiel dont l’exploitation, la mise en valeur tout en préservant son équilibre et sa régénération, ne pourra se faire qu’à travers des actions mutuellement avantageuses de partenariat et de programmes consensuels.

   L’administration gestionnaire du domaine public forestier doit à ce titre, ouvrir en priorité aux populations riveraines et dans le cadre d’une concession forestière transparente et équitable, les tranchées pare feu et les points d’eau à densifier, en favorisant dans ses reboisements, l’introduction des espèces d’intérêt pastoral et fourrager telles : l’Hédysarum (saint foin), le câprier, le médicago arborea, l’opuncia (figue de Barbarie à finalité multiple), mais aussi, aromatiques et pharmaceutiques. Et dire qu’on savait déjà faire tout cela au début de la décennie 80 ! Mais pourquoi, cette régression ?

   Ces espèces peuvent coloniser avantageusement les sols en pente en les protégeant rapidement contre l’érosion, tout en augmentant la production de miel, des unités fourragères et la durabilité du système agricole. Il s’agira aussi, d’ouvrir les clairières pour la constitution de prairies naturelles, propices au développement et à l’intensification d’un élevage bovin de montagne. C’est cette image positive de la forêt totalement inscrite dans la convivialité  qui est véhiculée partout ailleurs à travers le monde. Ceci est également valable pour les élevages caprins de montagne qui mieux conduits, peuvent générer des activités de transformation du lait de chèvres à travers la mise en place d’un tissu de petites fromageries familiales. Voilà des axes à investir, Mr le Ministre de l’agriculture, pour ressusciter l’espoir auprès de notre paysannerie qui a perdu confiance en votre administration trop confinée dans ses bureaux et pas trop visible sur le terrain.

   Les massifs forestiers sont également un véritable réservoir, un incubateur et un atout pour valoriser l’artisanat, développer l’écotourisme et les activités de transformation de ses produits et sous-produits. L’assainissement, l’aménagement des forêts et le ramassage du bois, sont aussi d’autres domaines d’activités à ouvrir à la concession. Cela devrait permettre tout à la fois, d’améliorer les revenus et de réduire les risques fréquents d’incendies. À partir de cet élan qualitatif novateur, le caractère répressif d’essence coloniale sera démystifié et il sera alors possible, d’introduire chez les populations, des programmes de préservation du milieu.

   C’est là, une manière de présenter la forêt, comme un espace totalement inscrit dans l’esprit d’une action partenariale « gagnant-gagnant » et où, les mesures coercitives seront progressivement bannies. Tout cela reste nécessaire mais bien insuffisant. Le consensus fragile, traité selon les formes indiquées, doit trouver son prolongement dans la création de nouvelles richesses, seules à mêmes de prévenir la ruine écologique des écosystèmes sensibles de montagnes.

   Au titre de la diversification des activités productives génératrices d’emplois, la valorisation des substances utiles est à inscrire au premier plan de cette nouvelle dynamique de développement des zones de montagnes. Les innombrables gisements et carrières de substances utiles et de matériaux les plus divers, pourraient donner lieu à la création de tout un réseau de très petites et/ou moyennes entreprises pour traiter et/ou exploiter divers minerais et produits : argile, calcaire, pierre de taille, marbre, agrégats ...

   D’autres initiatives sont aussi à prendre dans les domaines d’activités liées à la promotion de l’artisanat, de la petite industrie, des loisirs et du tourisme vert : gîtes, motels et pensions familiales, unités d’exploitation et d’embouteillage d’eau de sources, réserves cynégétiques, clubs de chasse, clubs équestre, aérium, sanatorium, auberges de jeunes, arborétum, muséum et centres de regroupement sportifs.

   Tout cela pour dire, que l’ouverture de la montagne à l’investissement public et privé et au partenariat, est une valeur ajoutée indirecte au monde rural, dans la mesure où elle permet la création de nouvelles ressources pour la collectivité et de l’emploi pour la population active, particulièrement pour les jeunes ruraux. N’est-ce pas là, une opportunité à saisir pour la création d’une banque totalement dédiée à la mobilisation de l’épargne de la diaspora originaire de ces régions qui pourraient s’investir au double plan du capital financier et du savoir-faire entrepreneurial acquis outre-mer ?  

 En conclusion, nous pouvons dire que c’est à partir de l’amorce d’un authentique développement intégré, articulé autour de la convergence des actions multisectorielles et ancré dans une vision globale et planifiée d’aménagement du territoire, déclinée en projets intégrés de grands travaux conçus par des commissariats et/ou agences à caractère régional, s’appuyant sur le riche fond d’études et d’enquêtes économiques, techniques, sociologiques et environnementales déjà élaborées mais insuffisamment exploitées et utilisées, que doit être amorcée la politique d’aménagement et de mise en valeur des zones de montagnes.

   Les projets intégrés dont la réalisation doit être confiée à des offices de mise en valeur, seront un levier important pour assurer le renouveau et la revitalisation des espaces montagneux. À ce titre, il faut souligner que l’acte de dissolution dans les années 80 des entreprises communales et intercommunales, des régies communales, de l’Office National des Travaux Forestiers (ONTF), des EMIFOR et des Coopératives Communales Polyvalentes de Services (CAPCS), est un acte déplorable, voire antinational qui a desservi le développement de l’agriculture en général et des zones de montagnes en particulier.

   Ce plan de démantèlement des moyens de réalisation que le pays a mis en place dans les années 70, suggéré par le FMI, a brisé l’élan du développement du monde rural. Le retour de ces structures s’avère indispensable pour le traitement et l’éradication des poches de pauvreté et de précarité de vie dans la multitude des « zones d’ombres », dès lors que ces structures véritables outils stratégiques, sont génératrices d’emploi de proximité en milieu rural tout en donnant une meilleure lisibilité aux actions des pouvoirs publics.

   Dans le contexte de cette indispensable reconquête d’espaces en dérive, la réhabilitation du corps des moniteurs agricoles et des coopératives multiservices est une manière de garantir et de faciliter l’accès au progrès technique, à des agriculteurs et aux exploitations familiales dépourvus de moyens. C’est là aussi, un autre gisement de création d’emplois pour nos techniciens, nos ingénieurs et nos autres diplômés de l’université et des centres de formation (économistes, sociologues, comptables, technologues, gestionnaires …), auquel pourrait s’ajouter celui des offices de mise en valeur qu’il convient également de réhabiliter en tant qu’outils indispensables pour la promotion de la mise en valeur des zones de montagnes.

   Quel gâchis causé à notre agriculture et à notre économie de montagne, que leur dissolution prématurée ! La petite paysannerie et les exploitations familiales sont en droit de réclamer leur retour, Mr le ministre de l’agriculture ! Cela n’est que justice ! C’est en effet, dans cette vision de pluriactivité fondée sur la solidarité que la société montagnarde devra entrevoir son destin et son avenir à terme.

   Elle ne peut plus se contenter de sa situation présente de précarité économique et sociale et du minimum vital que certains veulent lui imposer en dehors de toutes les aspirations et les espérances de sa jeunesse désenclavée par le Net, éveillée et ouverte sur un monde extérieur auquel elle s’assimile, en portant haut et fort ses revendications les plus légitimes, de bien-être dans la dignité et de progrès.Les récents évènements nous ont montré de façon éloquente, que la nature à horreur du vide. Que l’on y prenne garde !

   C’est cela aussi, l’espoir d’une « Algérie nouvelle » qui doit faire des principes de l’égalité des chances, de la solidarité, de l’équité et de la justice sociale, ses crédos. Cette Algérie qui reste à construire, fut portée, demandée pacifiquement et de façon unitaire par le vaste mouvement de notre jeunesse des villes et des campagnes dans le cadre du Hirak du 22 février 2019. Ce mouvement doit trouver son sain prolongement dans un vaste « programme vert » de volontariat à travers tout le territoire national pour renouer avec l’enthousiasme de cette jeunesse des années 70 qui n’a jamais ménagé ses efforts pour être auprès des intérêts de son pays. Il est vrai qu’en ce temps là, la cohésion sociale, l’unité nationale et l’amour de la patrie n’étaient pas un vain mot avant l’arrivée des réseaux sociaux de la « fitna ». Saurions-nous être encore une fois, à hauteur de ce défi de reconstruction de notre pays en faisant appel au cœur et à la raison des Algériennes et Algériens ?                                                                                                                                    

                                                                                                                                                  

                                                                                                                

                                                                                                          

                                                                                                             

                                                                                                 *Professeur

1. « La société montagnarde en question », édition ANEP 2000.

2. « L’insurgé », édition Hibr 2021.