Le football-l'Algerie-Ghaza.B.Senouci

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 art senouciLe football, l'Algérie, Gaza

par Brahim Senouci

Bill Shankly, manager mythique de Liverpool au milieu du 20ème siècle, est l'auteur de nombreuses citations qui ont fait sans doute autant sa renommée que ses nombreux succès footballistiques.Quelques-unes, au hasard : 

La pression, c'est travailler à la mine.La pression, c'est être au chômage. La pression, c'est essayer d'éviter de se faire virer pour 50 shillings par semaine. Cela n'a rien à voir avec la Coupe d'Europe ou la finale de la Cup. Ça, c'est la récompense !» «Une équipe de football, c'est comme un piano. Vous avez besoin de huit hommes pour la transporter et de trois autres pour en jouer.» 

«Dans un club de football, il y a une sainte trinité: les joueurs, le manager et les supporters. Les présidents n'ont rien à voir là-dedans. Ils sont juste là pour signer les chèques.» 

Pourquoi évoquer Bill Shankly ici ? A cause de cet aphorisme qui l'a rendu célèbre et dans lequel, au-delà de l'entraîneur, se révèle la figure d'un philosophe cynique : 

«Le football, ce n'est pas une question de vie ou de mort. C'est beaucoup plus important !» 

C'est à cet aphorisme que je songeais en suivant la saga algérienne au Brésil. 

Premier acte : l'Algérie d'aujourd'hui. C'est elle qui affrontait la Belgique. Recroquevillée sur elle-même, crispée devant son but, abdiquant l'idée même qu'elle était venue jouer au football. La défaite au bout, comme une évidence, puisqu'elle est le lot de ceux qui manquent d'audace. 

Deuxième acte : L'Algérie de demain. Face à la Corée du Sud, adversaire modeste. Des buts, des actions limpides, de la joie. 

Troisième acte : L'Algérie d'après-demain. La Russie. Scénario redouté. But russe. Comment réagira l'équipe ? Comme d'habitude, de façon anarchique, épuisante, jusqu'à l'écroulement et à la déculottée finale ? Pas du tout ! En bon ordre, avec opiniâtreté mais aussi sérénité et l'égalisation, synonyme d'accès, enfin, à la cour des grands. 

Quatrième acte : L'Algérie du futur. Confrontée à plus fort qu'elle, cédera-t-elle à la tentation du renoncement ? Elle a certes perdu mais elle n'a jamais rendu les armes. D'une certaine façon, elle a même eu le dernier mot avec ce but superbe d'adresse et de détermination de Djabou. Un regret toutefois : Une qualification nous aurait mis en face de la France en quart de finale. Cette perspective terrifiait certains au point que des Algériens ont poussé un soupir de soulagement au coup de sifflet qui signifiait la fin de notre aventure. Ils ont eu tort. Pour ma part, j'appelais ce match de mes vœux. Il aurait été l'occasion de lever des tabous, de sortir enfin d'un tête-à-tête inégal avec une ancienne puissance tutélaire qui détient, non seulement le monopole de l'écriture de l'Histoire mais aussi celui de la morale. Il n'a jamais été question pour aucun de ses dirigeants de reconnaître le fondement parfaitement criminel de l'«œuvre» française en Algérie. 

Je croyais aussi à la cerise sur le gâteau qu'aurait constitué une victoire, symbole du changement de stature qu'elle n'aurait pas manqué d'induire… 

Cinquième acte ? Passer du stade de perdant magnifique à celui de vainqueur… 

Voilà un scénario bien tentant. Il ne faut certes pas le prendre au pied de la lettre et se prendre au jeu de transpositions hasardeuses. On peut toutefois imaginer un avenir pour notre pays tel que le dessineraient les vertus dont on fait preuve nos jeunes compatriotes sur un rectangle vert, pour peu que le peuple qui les a applaudis les reprenne à son compte. 

Ghaza… Et le football ? Patience. La Palestine a une équipe. Elle est née peu de temps avant la Nakba, c'est-à-dire la création de l'Etat d'Israël qui signe sa disparition. Elle comprenait entre autres Haïdar Abdel Shafi, le négociateur bien connu et chef de la délégation palestinienne à la conférence de paix de Madrid en 1993. 

Ce n'est qu'en octobre 1993, après les accords d'Oslo, que l'équipe palestinienne va jouer son premier match international d'envergure à Jéricho (Ariha), face au Variétés Club de France qui comptait dans ses rangs Michel Platini, Alain Giresse, Jean Tigana… En 1998, la création de l'Autorité palestinienne permet la reconnaissance de l'équipe par la FIFA. Dès 1999, elle gagne une médaille de bronze aux Jeux panarabes de Jordanie. 

Le 26 octobre 2008 a lieu un événement historique : La Palestine reçoit l'équipe de Jordanie pourle premier match international joué à domicile, devant son public, à Jérusalem ! 

Elle est l'une des rares équipes de football à avoir pu disputer un match contre l'équipe du Vatican. 

En mai 2014, quelques mois avant la Coupe d'Asie, la Palestine participe à la cinquième édition de l'AFC Challenge Cup, disputée aux Maldives. L'enjeu est énorme puisque le vainqueur est automatiquement qualifié pour la phase finale de laCoupe d'Asie des nations en 2015. C'est ainsi que les Lions de Canaan balaient l'Afghanistan en demi-finale pour s'imposer devant les Philippins en finale. Ils s'adjugent ainsi leur premier titre et le droit de participer à la phase finale continentale en 2015. 

Ce succès inquiète les Israéliens, d'autant plus que la bataille mémorielle entre les Palestiniens et les nouveaux venus se joue aussi sur le terrain de football. En effet, l'équipe actuelle de Palestine ne doit pas être confondue avec son homonyme de l'époque du mandat britannique. Cette dernière, reconnue par la FIFA, était composée exclusivement de joueurs juifs et la musique jouée en ouverture était l'Hatikva, l'hymne officiel du mouvement sioniste et hymne officiel de l'Etat d'Israël ! 

Ce succès inquiète tellement que les Israéliens commencent à mettre des entraves aux déplacements des joueurs, en invoquant, par la bouche de leur ministre des sports, des problèmes de… sécurité ! Ce même ministre insiste en expliquant à Sepp Blatter que des risques d'attaques palestiniennes ont amené son gouvernement à prendre ces mesures… Il se déclare prêt à les assouplir à condition que les athlètes Palestiniens se limitent aux activités sportives et ne les utilisent pas pour «blesser ou menacer des citoyens israéliens». L'histoire ne dit pas si Blatter a demandé des éclaircissements sur le moyen de faire d'activités sportives des armes de guerre… Les appels de la fédération palestinienne à la FIFA pour qu'elle exige d'Israël la levée de ces mesures sont restées lettre morte. Pire encore, elles se sont aggravées depuis puisque des footballeurs ont connu les geôles israéliennes. Le plus célèbre d'entre eux, le capitaine de l'équipe Mahmoud Sersak a été détenu durant trois ans sans jugement. Il n'a retrouvé la liberté qu'en juillet 2012 après une grève de la faim qui a duré 92 jours. Pour mémoire, Sandro Rosell, alors président du FC Barcelone, a lancé une invitation à GiladShalit, ex prisonnier de guerre détenu par la résistance palestinienne à Gaza, pour assister au fameux classico entre le club local et le Real Madrid. Face à la levée de boucliers qui secoue l'opinion publique et au danger de dégradation de l'image du club, il s'est empressé d'adresser la même invitation à Mahmoud Sersak qui… refuse, alléguant, à juste titre, qu'il n'y a pas de parité entre sa propre situation, footballeur de métier détenu sans jugement et celle d'un soldat appartenant à une armée d'occupation ! 

Biens sûr, pourra-t-on objecter, tout cela n'est pas grand-chose au regard de l'enfer que vit Gaza. L'angle du football permet toutefois de mettre en lumière la matrice culturelle et politique qui fonde la gouvernance israélienne. C'est une matrice essentialiste, profondément raciste, dans laquelle l'absolu est la sécurité des juifs, sécurité au nom de laquelle il serait licite de s'absoudre du droit normal et de massacrer des populations sans défense. Si le mot raciste est trop fort au goût de certains, je les renvoie vers les florilèges des tweets émanant d'adolescents israéliens, tweets terrifiants de haine et d'appels au meurtre ! C'est au nom de ce principe qu'un million et demi de Palestiniens sont confinés depuis près de dix ans dans un espace clos, le plus densément peuplé au monde. C'est au nom de ce même principe que la vie de 150.000 Palestiniens d'Hébron (El Khalil) est devenue un enfer depuis que 400 juifs israéliens ont décidé de s'y établir, sous la protection d'un millier de soldats ! C'est cette matrice qui a permis le massacre des Gazaouis en 2008 et sa probable réédition aujourd'hui. 

Il faut également répondre à une critique récurrente. L'engagement supposé en faveur des Palestiniens n'aurait pour moteurs principaux que la proximité ethnique ou religieuse, voire la haine des juifs. Pour avoir pris une part active dans le mouvement de solidarité avec la Palestine en France, je peux signaler que le plus gros problème que l'on a eu à affronter est l'absence des Beurs à nos manifestations. Nous avons essayé, à plusieurs reprises, de les sensibiliser à cette question, mais avec un mince succès. En revanche, des organisations juives y sont toujours présentes et elles ne sont pas les moins radicales. Il y a aussi un très fort mouvement chrétien. De nombreuses organisations issues de cette mouvance sont présentes et sont représentées à la Plate-Forme des ONG pour la Palestine. J'ai commis moi-même un texte, pour le compte du Tribunal Russell sur la Palestine, paru dans l'Humanité et signé par des personnalités prestigieuses telles que Hessel, Aubrac, Harbi, Jacquard… On le lira avec profit pour comprendre les ressorts de l'adhésion à la cause de la Palestine, ou plutôt la cause de la justice pour la Palestine. Il suffit de suivre ce lien : 

http://www.humanite.fr/tribunes/pour-l%E2%80%99etablissement-d%E2%80%99une-paix-fondee-exclusivement-sur-le-droit-481935 

Pour finir… 

Il n'y a pas si longtemps, nous, les Algériens, nous considérions comme les champions du «nif», au contraire de nos voisins tunisiens qu'on taxait, très injustement, de couardise.... Il va falloir peut-être changer nos logiciels, chers compatriotes. Des soldats Algériens vont défiler sur les Champs-Elysées à l'occasion du 14 juillet. Il paraît que c'est pour honorer la mémoire des soldats algériens morts durant les deux guerres mondiales. On oublie ou on feint d'oublier que ces soldats ont été contraints d'aller mourir pour leurs maîtres et qu'une fois le nazisme vaincu, ils sont retournés à leur condition d'indigènes. On oublie que la date du 8 mai 1945 n'a pas tout à fait la même signification ici et là-bas ! Alors, une explication ? Non ? C'est donc une infamie. A côté de nous, les Tunisiens ont lancé une campagne massive de boycott des festivités du 14 juillet à l'ambassade de France à Tunis, campagne réussie… 

Post-scriptum qui n'a rien à voir, enfin peut-être: Kamel, gardien du parking de la Grande Plage d'Oran, vient de mourir, heurté par une voiture. C'était mon ami, notre ami. Il portait sur son visage les stigmates de cette Algérie délaissée, violente, désespérée, au visage marqué des suites de bagarres sans fin entre miséreux. Il faisait partie de ces Algériens dont le destin est de batailler sans fin pour arracher leur pitance ou de finir dans le ventre de la Méditerranée. Il avait l'habitude de slalomer entre des voitures roulant à fond de train pour ne pas laisser s'échapper un mauvais payeur. Son slalom s'est arrêté... 

 

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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