LE KSAR DU TAFILALET..A.KHELIL

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tafilalet 

   LE KSAR DE TAFILALET :                                                                                         UNE CITÉ MODÉLE D’ÉCO-CITOYENNETÉ !

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Abdelkader KHELIL*

Si comme partout ailleurs, l’exode rural s’est accompagné par un fort accroissement de la demande en matière d’équipements sociaux et d’habitat, chez nous, il a eu en plus d’autres effets pervers, principalement une consommation exagérée de ressources rares, et le plus souvent sans aucun respect des équilibres écologiques.

C’est ainsi, qu’à défaut d’une maîtrise de ce phénomène à travers une authentique revitalisation de nos campagnes, la croissance démesurée  et anarchique de nos villes a laissé du fait de la pratique du « laisser-faire », des stigmates en matière de gestion spatiale, qui marqueront durablement la physionomie de nos villes d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Mais est-il possible  de penser à de nouveaux projets urbains, selon une vision globale qui intègre les spécificités écologiques, économiques, sociales et culturelles des différents espaces et terroirs régionaux ? Cela est bien sûr souhaitable, et mieux encore nécessaire, voire vital pour l’avenir des générations futures ! Mais dans la réalité quotidienne, qu’en est-il exactement ?

 DÉSASTRE ET DÉSORDRE URBAINS !

Sur la base d’une expérience de plus de trois décennies acquise dans les domaines de la planification, de l’aménagement du territoire, du développement local et régional, il me parait difficile de croire que ce rêve puisse se réaliser, pour la simple raison, que le gaspillage des ressources s’est érigé comme mode pérenne de gouvernance territoriale, au mépris de l’application des lois et des règlements de la république ! Il n’y a qu’à voir tous ces showrooms de  marques automobiles et d’engins de travaux publics, ces dépôts et ces aires sous douane, ces décharges de ferraille et bien d’autres incongruités érigés en zones périurbaines de nos grandes villes, sur des terres agricoles nues ou après arrachage de vergers, pour comprendre que nous nous sommes installés durablement dans une spirale suicidaire, qui restreint nos chances de survie dans un avenir proche. Oui ! Nous sommes devenus des gens peu respectueux de la nature, parce qu’enivrés à l’extrême par le pétrole et le gaz, qui nous ont éloignés de cet esprit de parcimonie et de cette complicité  jadis entretenu par nos parents, avec leurs milieux naturels ! Quel désastre que ce « panorama » fait de béton et de fer, et qui a remplacé celui offert jadis par les ceintures légumières, fruitières et laitières de nos villes : richesses  plaisantes à l’œil! Au regard de ses paysages actuels angoissants, tristes et mornes, il m’est apparu nécessaire de titiller quelque peu la conscience collective juste pour dire, que par le silence assourdissant de nos institutions, mais pas seulement, nous serions tous jugés coupables par nos enfants, pour non assistance à nation en danger, menacée dans son existence par le spectre de la famine ! Combien sont-ils, ou sont elles, ceux ou celles qui se sont sentis mal à l’aise par rapport à ce scénario catastrophique au moins une fois, et qui peinent à dormir, parce que torturés dans leur sommeil, de nuit comme de jour ? Si les gens sont dans l’instinct de l’autruche, comme pour ne pas voir cette réalité si pesante, d’un ratio  d’à peine 0.1 hectare de terre agricole par habitant à l’horizon 2020, c’est que nous sommes réellement inconscients et allergiques à toute action durable pour le bien-être des générations futures!

RÉFLEXION AU SERVICE DE LA GESTION URBAINE !

C’est par rapport à ce « cauchemar », que nous avons perçu il y a de cela deux décennies au niveau de la délégation à l’aménagement du territoire (1995), cette nécessité d’ancrage de la maîtrise de la croissance de nos villes  dans la vision d’aménagement du territoire, en agissant dans le sens d’une action préventive. Nos travaux ont été couronnés par la publication sous ma direction, de deux ouvrages sur : «  les villes des Hauts-Plateaux dans la revitalisation des espaces ruraux » et «  les villes dans la vision du développement durable des espaces du Sud » (Édition UAFA-1998). Présentés sous la forme de synthèses, ces dossiers ont pu être élaborés, grâce à la participation de l’ANAT (devenue aujourd’hui une agence « agonisante », de par le peu d’intérêt qu’il lui est accordé), des cadres des collectivités locales et la société civile. Ils sont en quelque sorte, le fruit d’une concertation et le résultat d’un consensus dégagé à partir d’une analyse pertinente des problèmes recensés sur le terrain. Dans leur volet didactique, ces instruments répondaient au souci de  mettre la réflexion au service de l’action afin de sensibiliser les collectivités locales sur les tendances lourdes ou émergentes, les enjeux de l’évolution anarchique de nos villes et aux stratégies à mettre en œuvre pour rétablir l’harmonie et la convivialité urbaines. Ils plaident aussi, pour une revitalisation des espaces et terroirs ruraux à travers l’émergence de centres à promouvoir dans les arrières pays de nos agglomérations urbaines, afin de créer les conditions à la restauration d’un équilibre entre villes et campagnes. Cette initiative était animée par le souci d’un débat sur l’ingénierie urbaine, ouvert à toutes les composantes de la société. L’objectif était d’inscrire la marche de « l’Algérie de demain », c’est à dire celle d’aujourd’hui (depuis l’amorce de ces travaux en 1995), en rupture avec la logique de l’urbanisation spontanée anarchique et non planifiée qui abandonne l’évolution des villes aux pressions de la demande sociale et hypothèque ainsi, leurs chances d’émergence comme pôles organisateurs d’espaces régionaux compétitifs. Mais qu’en est-il resté de ce travail, conçu patiemment de la base au sommet, selon le principe de construction d’une pyramide, qui a mis à contribution plus de 1000 cadres, parmi les élus, les ingénieurs et les universitaires? Avec le départ de ses concepteurs et de ceux qui ont adhéré à sa philosophie d’ensemble pour avoir été sensibilisés, cette démarche faite de rationalité, de bon sens et d’espoir, a été abandonnée avec le retour à la gestion empirique basée sur le court terme et le pilotage à vue, sans réflexion stratégique sur l’avenir. « Chassez le naturel, il revient au galop », dit le proverbe ! La rationalité, la concertation et le souci de recherche du consensus n’étant pas le point fort des préposés à la chose publique, chacun fait comme bon lui semble, en gestionnaire investi d’une autorité sans partage, sur un département ou une entité administrative bien définie ! Et c’est ainsi, que des villes nouvelles comme Boughzoul, Sidi Abdallah ou Bouinan trainent en longueur, malgré l’effet d’annonce des responsables qui promettent monts et merveilles, alors que leur gestion est calquée sur les seules pulsations de la rue et  sur la pression exercée sur eux. Alors ! Qui peut croire que de la sorte, nous puissions réaliser des progrès durables ?

REPORT D’URBANISATION DANS LA VALLÉE DU M’ZAB !

Il est bien heureux de constater, que de toutes les villes étudiées, c’est Ghardaïa qui a le plus marqué son intérêt pour la mise en œuvre du dossier de maîtrise de la croissance urbaine, à l’échelle de toute la vallée du M’zab. Cet intérêt spontané trouve son explication dans cette prise de conscience manifestée à l’égard d’un patrimoine universel qui se doit d’être protégé et mis en valeur en sa qualité d’espace propice à un développement de l’agriculture et de l’éco-tourisme. C’est là, une condition sine qua none à la pérennité des activités économiques et au maintien des établissements humains dans cette région. C’est pourquoi, le desserrement sur la vallée a été envisagé à partir du report de l’urbanisation  sur : le site d’équilibre d’Ourighnou qui aurait pour fonction, d’organiser les activités agricoles et de développer celles liées au commerce et au tourisme, et sur celui de Noumérate, à organiser en pôle industriel et de services de haut niveau. Ce second site pourra relayer Ghardaia qui aura à jouer le rôle d’une métropole régionale, capable d’assumer ses fonctions d’intégration de sa région aux espaces Nord et subsahariens.

LE KSAR DE TAFILALET : CETTE TRADUCTION DU SAVOIR-VIVRE !

Mais ce report d’urbanisation n’est pas la chose la plus importante qu’il faille retenir, puisque relevant d’une démarche classique usitée partout ailleurs ! Ce qui est par contre remarquable, c’est cette adhésion citoyenne qui a eu pour prolongement, la création par mon ami Dr NOUH, d’une société civile immobilière à but non lucratif « Amidoule » du nom de l’ancien « Béni- Izguen » dont-il est le Président, pour la création du ksar de Tafilalet, en dehors de l’aire réservée à la palmeraie.

Cette reproduction de l’habitat traditionnel extra muros, avec l’introduction d’éléments de modernité, est une manière de prévenir l’anarchie urbaine, qui accompagne souvent, la réalisation de programmes inspirés par des typologies et des normes urbanistiques peu adaptées aux réalités locales. C’est pour mieux nous imprégner de l’expérience de cette société immobilière et avec l’accord de son Président, que j’ai demandé à mon assistante, HALEM Massica, envoyée en formation pour un D.E.S.S. en « aménagement et politique des collectivités locales » à l’Université de Jean MOULIN Lyon III, de préparer à distance, son mémoire d’études sur ce Ksar, sous ma direction et celle du Professeur Bonnet, qui a eu l’amabilité d’accepter cette formule de collaboration.

Mais c’est quoi au juste, ce projet qui a impressionné bon nombre de personnalités comme : les ambassadeurs de l’UNESCO, de Corée du Sud, d’ Allemagne, de  France, d’Espagne, de Turquie, de Hongrie, des Etats-Unis, d’Oman, de Bahreïn, ainsi que le Président du comité mondial de l’eau et bien d’autres personnalités (plus d’une centaine) qui l’ont visité, chacun y apportant par son témoignage élogieux, admiratif  et respectueux à l’égard  des citoyens exemplaires de cette cité phare, paisible et accueillante, qui nous projette à partir de ce microcosme, sur un 21ème siècle fait de convivialité et de civilité ?

Ce nouveau ksar a été conçu dans la continuité des principes de rationalité en termes d’utilisation du foncier, de valorisation de l’espace, et d’adaptation aux conditions climatiques. C’est ainsi, qu’ont été respectées : l’orientation des habitations, l’utilisation des matériaux locaux de construction (pierre, sable, chaux, plâtre et troncs de palmier) et la compacité du bâti, c’est à dire, tous les éléments nécessaires à la création d’un microclimat  favorable à la vie, dans une région fortement marquée par l’aridité du milieu. De même, l’étroitesse des rues dont la largeur était dimensionnée par rapport au passage de deux animaux de trait (autrefois utilisés pour le ramassage des ordures ménagères), a été revue pour permettre le passage de SAMU et de la protection civile en cas d’urgence, sans que la largeur des rues ne soit suffisante pour permettre à deux véhicules de se croiser, afin d’assurer la quiétude des riverains. Dans cette conception, la voiture n’est perçue que comme élément d’urgence et le stationnement n’est autorisé que sur la partie périphérique du ksar.

Par ailleurs, même s’il est interdit d’élever un mur au point de porter ombrage à son voisin, d’autres éléments de modernité ont été intégrés, comme par exemple : l’introduction de la cour, l’agrandissement des habitations et la plantation obligatoire d’un palmier devant chaque logement. De la sorte, le citoyen est impliqué dans la vie de la cité, il a pour devoir d’entretenir et d’arroser son palmier jusqu’à son entrée en production, où il lui reviendra de droit. N’est-ce pas la, une manière d’entretenir de bons rapports de voisinage, de développer des liens de solidarités et d’ancrer chez les citoyens la culture environnementale, qui trouve son prolongement dans la réalisation d’une ceinture verte à partir des (36) espèces de palmiers présentes dans la vallée et par le volontariat ?  Oui ! C’est par ce comportement individuel que commence le vivre-ensemble ! Nous sommes loin de l’atmosphère d’insécurité et d’incivisme de bon nombre de cités dortoirs dans régions du Nord, qui ne font que recevoir, sans rien donner en retour à leur communauté. L’exercice de la citoyenneté est aussi présent dans la gestion de ce ksar, où le bénévolat est pratiqué régulièrement pour l’embellissement de la cité et pour bien d’autres actions d’intérêt général. Ces campagnes regroupent des jeunes de 6 à 15 ans qui sont encadrés par des enseignants. Certains groupes de jeunes s’occupent de l’animation culturelle de ces journées, tandis que d’autres participent à la préparation d’un déjeuner collectif. Tout se fait dans la bonne humeur et à la bonne franquette ! Au-delà de la reconnaissance par tout un chacun, de considérer le logement type « Tafilalet » comme parfaitement adapté au contexte socio-économique et environnemental de la vallée du M’zab, l’économie substantielle réalisée soit 64% par rapport à celui de l’OPGI, souligne le bien fondé de l’implication de l’association dans les différentes phases de déroulement des travaux de ce projet à finalité sociale, dont Le coût réduit s’explique par l’utilisation des matériaux locaux en abondance à Ghardaia, et par le mode de réalisation du projet par des tâcherons.

Dans ce cas de figure, nous sommes dans une société mozabite totalement baignée par l’esprit de la débrouille et du compter sur soi. C’est dire que la vallée du M’zab, cette école de la parcimonie en tout, tirée par la sagesse, l’esprit d’abnégation, le travail fait de sueur et non de « crédits calmants », cette « aspirine » octroyée par l’ANSEJ à des jeunes couvés par  la compassion parentale et celle de l’Etat providence, est cette source d’inspiration qui indique la voie à suivre pour atténuer les effets pervers de la non préparation à l’ère de l’après-pétrole ! Oui ! Nos frères mozabites, conviviaux à souhait, ne sont pas des « manchots » et le défi est le propre de leur culture, qui malheureusement n’a pas encore fait tâche d’huile auprès  de nos autres concitoyens et n’a pas essaimé partout ! C’est dire qu’il n’est pas donné à n’importe qui de se mesurer tout au long d’une vie, à l’austérité et au recyclage de la chose perdue, comme ce pain, cette denrée bénie dont nous jetons les deux tiers dans nos poubelles, sans considération ni respect pour la nourriture ! Chez les gens du M’zab, cela est un blasphème et une raison suffisante pour réprimander celui qui commet la faute. Mais ce n’est là que chose rarissime chez nos amis qui tirent de leurs racines profondes, cette sève du respect pour la nourriture et pour toute chose rare ! Alors ! Soyons tous imprégnés de cette philosophie, et l’Algérie ne sera que plus sereine, plus conviviale et plus prospère ! N’est-ce pas là, le sens profond de cet islam tolérant, ouvert, créatif, authentique et vrai ?

                                                                                                      *Professeur

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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