" ÉCRITS D'ALEXIS DE TOCQUEVILLE SUR L’ALGÉRIE ENTRE 1837-1847" Conférence donnée par le Professeur Ali ZIKI le 23 décembre 2017 au lycée Djamal Eddine El Afghani de Mascara

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Les relations franco-algériennes se caractérisent depuis l’indépendance en 1962, entre autres problèmes, par un contentieux d’ordre moral à savoir celui de la reconnaissance des crimes contre l’humanité commis dans notre pays par la France pendant la période coloniale. Loin d’assumer sa dette envers le peuple algérien, la France qui en d’autres circonstances s’érige en championne des droits de l’homme, refuse de reconnaitre le rôle néfaste et avilissant du colonialisme. Ces derniers temps une partie de la classe politique française commence timidement à accepter l’idée que l’action coloniale fut un crime contre l’humanité (déclaration du Président Macron du 6 décembre 2017). Cette attitude ne peut se comprendre qu’en remontant aux origines, aux circonstances et à la manière dont a été conçue et exécutée la colonisation de l’Algérie. Malgré les problèmes internes du pays (révolution de juillet), la France a mobilisé une force militaire considérable accompagnée d’une mobilisation du monde intellectuel. L’attitude de grands écrivains comme Lamartine, Victor Hugo, Alexandre Dumas et d’autres fut déshonorante en cautionnant l’agression et l’occupation de l’Algérie.  Parmi ces personnalités, Alexis de Tocqueville se distingua par ses écrits sur la colonisation de l’Algérie et fut à l’origine d’une certaine manière de la conduire.

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La publication en 2016 de la traduction en arabe des écrits de Tocqueville sur l’Algérie entre 1837 et 1847  << كتابات طوكفيل عن الجزائر 1837-1847  >>  par le Pr Ali ZIKI a suggéré l’idée de lui demander de venir nous éclairer sur l’action et l’influence d’Alexis de Tocqueville,  «cynique théoricien et l’architecte en chef de la conquête des terres », sur le déroulement de la colonisation de l’Algérie. Monsieur Ali ZIKI est professeur d’enseignement supérieur à l’institut d’interprétariat de l’université d’Alger2, spécialisé en philosophie. Il a conduit plusieurs études et recherches académiques sur certains problèmes de la philosophie islamique et ses relations tendues avec la religion, la politique et la philosophie grecque. Il a participé à de nombreuses conférences scientifiques nationales et internationales portant sur la relation de la philosophie avec les sciences sociales, les sciences positivistes et l'art. Il a pris part aux innombrables publications sur l’engagement soufi de l’Emir Abdelkader et sur ses positions éclairées sur la philosophie et sur les problèmes de son temps.

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Après les mots de bienvenue, M. Nordine Seddar doyen de la faculté des lettres et des langues de l’université de Mascara, modérateur de la séance, et après une brève présentation du conférencier, donna la parole au Pr ZIKI qui débuta son intervention par rappeler certaines définitions de concepts comme la liberté, le libéralisme, la démocratie, la barbarie par certains penseurs européens comme Lévi-Strauss, Max Weber, Todorof et d’autres. Il rappela l’influence importante de la pensée grecque sur la philosophie européenne en particulier les trois notions fondamentales que sont le mitos (l’écrit grec), le logos (l’esprit) et le théos (théocentrisme). Il mentionna le rôle essentiel de Platon et d’Aristote. Il ne manqua pas de rappeler aussi que les Califes abbasides ont fait traduire une partie importante de la pensée grecque qui fut la cause de différents entre des penseurs arabes en particulier sur la relation entre science et religion. Il montra l’importance de l’avènement de la renaissance européenne au 17eme et au 18eme siècle. Contrairement au passé, la pensée européenne s’attela à la connaissance du cosmos d’où l’éclosion et le progrès scientifique (pensée cartésienne). Suit une période annonciatrice de la révolution française marquée par les écrits de Rousseau, Voltaire et d’autres penseurs qui privilégie la domination de l’esprit sur la religion. Tocqueville nait au début du 19eme sciecle en 1805 en pleine influence de la pensée romantique qui privilégie la notion de civilisation contrairement à la pensée allemande qui privilégie la notion de culture.

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Le Pr ZIKI exposa en détail la vie de Tocqueville et expliqua les raisons qui l'ont conduit à traduire ses écrits sur l’Algérie en ces termes : »  les « Ecrits de Tocqueville sur l’Algérie » constituent de notre point de vue la Somme la plus achevée de la pensée coloniale du XIXe siècle finissant. En accompagnant, encadrant, et conseillant les étapes des opérations militaires de la conquête, Tocqueville fut un cynique théoricien et l’architecte en chef de la conquête des terres, ainsi que de l’assujettissement des esprits des autres ; maniant maladroitement l’universalisme encombrant de la philosophie des lumières et les sacro-saints principes libérateurs de la révolution française. En traduisant ces textes du français à l’arabe, nous ambitionnons d’atteindre deux objectifs éminemment pédagogiques et intellectuels :
   -Mettre à la disposition du lecteur arabophone ces textes qui combleront, nous l’espérons, un vide béant sur la pensée de ce personnage exceptionnel, qui reste méconnu dans l’ère culturelle arabo-musulmane. 
     -Mettre en relief les traits les plus caractéristiques de ce personnage ambigu et ambivalent, voire hypocrite moralement parlant.
En effet, de Tocqueville s’acharne à faire correspondre désespérément par une rhétorique bancale démocratie, libéralisme et aristocratie avec colonialisme et esclavagisme. Manipulant ainsi des concepts antagonistes en s’abritant derrière la logique implacable de l’éthique de conviction, chère à Max Weber, pour défendre la démocratie, le libéralisme, et l’éthique de responsabilité. Tout cela dans le but de justifier le colonialisme et l’esclavagisme nécessaires à l’affranchissement des indigènes. Tocqueville donne ainsi l’impression d’être un homme providentiel pour sauver l’honneur bafoué de la France bousculée par ses puissances amies rivales ; et pour contribuer d’autre part au rayonnement des lumières françaises, qui n’éclaireront les indigènes autant qu’elles ne les aveugleront, car ils sont pour lui incapables d’en tirer profit. Voulant porter un jugement de valeur sur la mission civilisatrice de la France, Tocqueville a claironné que la France avait rendu la société indigène beaucoup plus malheureuse qu’elle ne l’était avant de la connaître ».
      Le Pr ZIKI termina son exposé en insistant sur l’appropriation, par la traduction en arabe, des textes écrits sur l’Algérie durant la période coloniale et post coloniale.
      Un débat fructueux a suivi cette conférence qui a permis au Pr ZIKI de répondre aux multiples questions posées et de préciser encore plus les idées de Tocqueville.
     L’association AALYM tient à remercier M. le Pr Ali ZIKI pour son amicale disponibilité et la qualité de son intervention qui nous en sommes persuadés a contribué à connaitre et comprendre encore plus l’histoire de notre pays.
Dr Ahmed BOUCHETARA.