Rachid BOUDJEDRA : " LITTERATURE ET HISTOIRE " Conférence donnée le 27 janvier 2018 au lycée Djamel Eddine de Mascara

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Dans une thèse de doctorat de littérature comparée à la Sorbonne l’auteur E. Papadopoulou écrit : « le monde littéraire de notre temps trace un chemin qui est en mesure de nous placer face à notre mémoire, notre conscience et donc face à notre perception du temps présent ». Qui mieux que Rachid BOUDJEDRA incarne cette conscience de notre temps et la traduit dans une œuvre qui ne laisse aucun lecteur indifférent. C’est par ce samedi pluvieux du mois de janvier que notre association a eu l’insigne honneur de recevoir cet écrivain tantôt adulé tantôt honni, mais que ses admirateurs ou ses détracteurs reconnaissent en lui l’écrivain de talent, l’écrivain engagé et l’écrivain courageux toujours fidèle à ses convictions face à l’adversité. M. Rachid BOUDJEDRA est né en 1941 à Ain Beida (Aurès), mathématicien et philosophe. Il se consacre dès 1972 à l’écriture. Romancier, poète et scénariste, il est l’auteur d’une œuvre considérable traduite dans le monde entier. En 1969 il publie « La répudiation », « La vie quotidienne en Algérie » en 1971, « Le journal palestinien » en1972, « L’insolation », « Topographie idéale pour agression caractérisée » en 1975, « L’escargot entêté » en 1977, « Les 1001 années de la nostalgie » en 1979, « Le vainqueur de coupe », «pour ne plus rêver » en 1981, « Le démantèlement » 1982, « La macération », « greffe » en 1984, « Leilyat Imrâa âriq (journal d’une femme insomniaque) », « Maaraqat Ezzoukak (la prise de Gibraltar) », en 1989 « La transfiguration », « le puits de l’ogresse », « Fawdhat el ashyâa », « fis de la haine », « Timimoun », « Lettres algériennes », » "Peindre l’Orient" , en 1997 « La vie à l’endroit », en 2000 « Fascinations », en 2003 « Les funérailles » et en 2017 « La dépossession » et « Les contrebandiers de l’histoire (pamphlet)». Ce rappel non exhaustif de l’œuvre de R.Boudjedra nous montre qu’il fût un témoin critique de son temps et donc d’une certaine manière un historien lucide de son pays.

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Il a intitulé son intervention: « littérature et histoire ». Il débuta son exposé, par rappeler son parcours professionnel d’enseignant d’abord puis sa décision de s’engager (par effraction diront certains) en littérature après le succès de son premier roman « La répudiation ». Sa formation philosophique et scientifique influa beaucoup sur son style et ses choix littéraires. La diversité de ses écrits (romans, poèmes, nouvelles, écrits sur l’art, ouvrages politiques, scénarios : chronique des années de braise) fait de lui un acteur vivant de cette société qu’il ne cesse de questionner et d’interpeller. Il dit avoir choisi un style précis et concis traduisant une fidélité et une proximité avec le réel. Il fut à cet égard un écrivain provocateur, dérangeant et parfois qualifié de violent. Durant toute son intervention, il ne cessa de se réclamer de l’héritage de Kateb Yacine. Sa production romanesque fut puisée exclusivement dans la vie de l’Algérie indépendante. Ses références au passé ne furent en aucun cas utilisées pour magnifier l’histoire, mais essentiellement rappelées par devoir de mémoire pour empêcher son oubli ou sa déformation. Il fut et est toujours un critique acerbe du pouvoir politique qu’il accuse de déviances depuis l’indépendance.

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On reconnaît à Rachid Boudjedra d’avoir rompu avec le roman algérien de la période coloniale. Son engagement, dit-il, a été non seulement par l’écrit, mais aussi sur le terrain en particulier pendant la guerre de libération nationale et pendant la douloureuse décennie noire. Il dit avoir puisé dans l’âme du peuple algérien l’essentiel de ses textes. Fidèle à ses convictions, il n’a jamais cessé de se révolter contre l’élimination des sympathisants communistes de la révolution algérienne. Il évoque avec respect et reconnaissance l’aide qu’il reçut pendant la décennie noire de la part de prêtres qui furent assassinés plus tard. M. Boudjedra n’a pas hésité à nous donner sa vision critique sur la révolution en particulier sur le congrès de la Soumam et les drames et dissensions des dirigeants. Il prit un temps assez long pour nous présenter son livre « La dépossession », par lequel il s’insurge contre la dépossession du pays d’œuvres de son patrimoine culturel. Enfin à travers le débat riche qui suivit, M.Boudjedra s’expliqua longuement sur le pamphlet publié en 2017 qu’il intitula « Les contrebandiers de l’histoire ».

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Ce fut assurément une rencontre riche et utile qui permit à l’assistance d’avoir une idée plus juste du personnage et de l’écrivain porteur d’une vision originale de la littérature algérienne contemporaine d’expressions française et arabe. L’association ne remerciera jamais assez M. Rachid BOUDJEDRA pour l’effort consenti, l’amitié sincère et le respect qu’il a témoigné pour la ville de Mascara et son histoire. La conférence se termina par une vente dédicace de ses livres et notre habituel couscous mascarien.
Dr A. BOUCHETARA.