Le village

 

Les maisons sont dans l’ombre, tapies sur le flanc ombragé de  la  montagne.  Ainsi,  le  soleil  leur  épargne  sa  morsure, la réservant au dôme du mausolée qui les surplombe. En contrebas, un oued asséché déroule ses méandres inutiles. Durant l’hiver, ses brèves et violentes colères d’adolescent le projettent à l’assaut du village. Il en ramène une chèvre, une brouette, maigre butin dont il livre les restes le lendemain,  ou  quelques  jours  plus  tard,  dans  le  lit  qu’il  abandonne.  Entre  rocaille  et  orties,  quelques  arbres  tentent vaillamment  de  s’agripper  aux  talus  inhospitaliers.  Seule touche de couleur, des sacs en plastique noirs, bleus, verts pendent aux branches, remplaçant les feuilles consumées par les premiers feux de l’été. Un âne aux pieds entravés inscrit un bref braiment dans le paysage avant de retomber dans une immobilité antique. Un caméléon pensif se tapit dans l’une des rares taches d’ombre. La route qui serpente

là-haut n’amène nul visiteur. Rien ne vient troubler le silence d’une après-midi incandescente.

 

Ce  village  algérien  est  celui  de  Kaddour.  Il  s’apprête  à  y passer ses vacances estivales après l’avoir quitté il y a plus de vingt ans... Vingt ans d’une vie parisienne de quasi insouciance, vingt ans durant lesquels il a réussi à tenir en respect l’angoisse subreptice qui vient s’insinuer au cœur d’un moment creux, vingt ans durant lesquels il a réussi à contenir les assauts sporadiques des lourds souvenirs qui lestent sa mémoire et enveloppent son âme d’un voile obscur et fugace. Fort heureusement, ces moments sont rares. Il mène habituellement une vie très active, toujours entre deux  réunions,  entre  deux  avions,  toujours  pendu  à  son

téléphone,  relié  par  mille  fils  invisibles  aux  quatre  coins du monde. Ce tourbillon connait de rares pauses, quelques moments de solitude morose. Le téléphone, vite :

-      Allo, Suzanne, ça te dirait de faire une partie de tennis au Forest Hill ?

-      Pierre,  tu  serais  partant  pour  boire  un  verre  chez Trucmuche ?

-      Salut, Magali, on se paie une toile ?

Il  arrive  que  Magali,  Pierre,  Suzanne  et  tous  les  autres soient « pris »  , « occupés »   ; « agendas blindés jusqu’au mois  prochain  »    .  Seule  reste  la  perspective  d’un  dîner

solitaire face aux inepties télévisuelles. Heureusement, en règle générale, Kaddour n’a pas une minute à lui.

 

Et  voilà  qu’il  s’apprête  à  rompre  avec  le  tourbillon  factice dans lequel il s’est abandonné jusque-là avec tant de plaisir,  en  faisant  mine  de  protester  contre  le  « manque de temps  »  , en virevoltant entre activités artificieuses et superficielles. Il a appris à prendre le ton désolé, voire rageur, qui sied aux Parisiens qui découvrent qu’ils ont pris du poids pendant les fêtes ou que leur smash de revers a perdu de son efficacité durant la semaine d’abstinence tennistique. Il a appris  à apprécier  le  confort  de  la bulle  qui l’abrite. Aucun drame extérieur ne trouve à s’y insinuer ; seuls y ont droit de cité les désagréments à taille humaine, petites discordes amoureuses, aléas sportifs de l’équipe de football dont on a choisi une fois pour toutes d’épouser la cause.


   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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