SOUVENIRS DE MON AINE MOULAY MEDEGHRI- Mohammed MAZOUNI

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SOUVENIRS DE MON AÏNE MOULAY MEDEGHRI (SI HOCINE)

 

 Nos parents étaient amis et voisins. Même si mon camarade de jeu était Omar le frère cadet de Moulay, je côtoyais souvent celui-ci et un rapport particulier, presque fraternel, nous liait comme si nous pressentions ce qui allait nous arriver. 

Âgé de douze ans au lendemain du massacre du 8 mai 1945, Moulay assista impuissant à la souffrance de sa famille durement touchée par l’assassinat de son oncle Si Bouâzza, par les sbires des colonialistes. Les commanditaires visaient en fait son père Si Allel dont les activités militantes étaient jugées subversives et incontrôlables par le pouvoir colonial en place. Ce fut pour Moulay sa première confrontation avec la violence politique et sans doute non sans conséquence sur sa destinée. 

Une décennie plus tard, Moulay et moi étions recrutés comme instituteurs dans le même groupe scolaire. Il militait dans le secret, dans l’organisation du FLN.  Je sentais, son côté réservé aidant, qu’il se préparait à prendre le maquis et surtout qu’il ne désirait pas m’embarquer dans l’aventure, comme un aîné qui voulait protéger son jeune frère[1].

 

En 1956, la répression des services militaires français était violente et aveugle. Tout cela poussait à la rébellion un homme intelligent et engagé comme Moulay. L’appel de l’ALN et le rêve de l’indépendance nationale furent alors irrésistibles 

En janvier 1957 lors de la grève des huit jours décidée par le FLN, les autorités françaises ont décrété la réquisition dès le début de la grève. Les deux comparses que nous étions refusèrent de se soumettre à la réquisition et furent envoyés en prison. Etant mineur à cette époque mon père me fît sortir rapidement, chance qui ne fut pas celle de Moulay qui, majeur au moment des faits, y passa un peu plus de temps 

En juin 1957 (à la fin de l’année scolaire !) lorsque nous rejoignîmes les maquisards (en pièce jointe la note émise par les RG de Saïda), nous eûmes à faire connaissance avec les manœuvres pour échapper au ratissage ennemi, la nécessité d’être constamment en mouvement pour éviter les dénonciations inévitables. 

Nous fîmes surtout la connaissance d’une organisation solidaire et motivée qui n’avait jamais existé auparavant. Les maquisards étaient des frères unis par le danger et par la noblesse de l’objectif. Le mouvement de Libération était dirigé par des patriotes plus aguerris, plus durs. 

Nous trouvâmes rapidement notre place comme secrétaires. Pour rire, nous pastichions la formule sérieuse ‘’koul li edjl lih kiteb’’ en y ajoutant ‘’oua koul li mes’oul lih katib !’’. 

Mais le rôle organisateur de Moulay s’imposa rapidement. Comme secrétaire, il assurait le lien avec le haut commandement, la communication entre les maquisards dispersés, la réalisation de petites études, le suivi des actions de l’armée française, tout en étant lui même impliqué dans les actions de combat. 

Un jour, on raconte qu’à la recherche de son groupe dont il était coupé, il traversa de nuit des forces ennemies en embuscade d’où il sortit miraculeusement indemne. Quand il rejoignit enfin son groupe, ses compagnons constatèrent avec stupeur que sa djellaba était pleine de trous causés par les tirs qu’il avait dû essuyer 

Après quelques mois il fût promu sergent adjoint au responsable politique du secteur 4, région 2, zone 5, wilaya 5. Encore une occasion de rire, qu’il ne manqua pas : ‘’Maintenant que je suis un mes’oul, il me faut un  katib et j’ai pensé à toi’’ me dit-il presque sérieux, avant d’éclater d’un rire silencieux dont il avait le secret ! 

Nous paraissions cependant fragiles et nous l’étions souvent. Nous étions ainsi plus sensibles au froid, aux maladies et notre résistance était moins bonne que celle de nos camarades d’origine paysanne 

Fin 1957, lorsque j’appris que Si Allel était tombé au Champ d’Honneur, j’ai envoyé à Moulay un message de condoléances lui disant entre autres qu’à la libération, notre rue du nom du sinistre Lyautey, sera certainement débaptisée et portera le nom de son père. Ma prière a été entendue !  

Bien des années plus tard, en juin 1970, alors que Boumediène, accompagné des ministres Medeghri, Bouteflika et Tayebi Larbi tous anciens de la Wilaya 5, venait poser la première pierre du projet de la raffinerie d’Arzew, Moulay, à ce moment-là ministre de l’Intérieur, prit Boumediène par le bras et lui dit à voix basse que le chef du projet de la raffinerie n’était autre que le petit jeune du maquis qui faisait si bien les rapports de couleur. Boumediène me lança alors avec beaucoup d’humour : ‘’Tu l’as échappé belle !’’ 

Pendant toutes les années qui suivirent et jusqu’à sa mort, Moulay m’a soutenu et prodigué ses encouragements à chaque fois que confronté aux difficultés inévitables de l’environnement, je faisais appel à lui 

L’Algérie et nous tous, aurions bien besoin de lui aujourd’hui ! 

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[1] Moulay était mon ainé de trois ans

² Si Allel, le père de Moulay est tombé au Champ d’Honneur en 1957

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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