DE L'ANCRAGE DE LA VIE DE NUIT... A.KHELIL

Détails

 

 De l’ancrage de la vie de nuit 

    dans la continuité de l’effet ramadan

      

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Abdelkader KHELIL*

Au-delà  de son caractère de mois de piété par excellence, le ramadan est aussi la période de l’année la plus propice aux sorties nocturnes pour nos concitoyens, qui essayent tant bien que mal de joindre l’utile à l’agréable après des journées harassantes, faites de stress et de course effrénée, induite par des fantasmes boulimiques en rapport avec la nourriture, qui est souvent gaspillée en fin de compte, alors que subventionnée par l’Etat. Quel gâchis !

Il est vrai qu’en ce mois sacré, l’activité nocturne tout à fait particulière a pour objet, l’accomplissement de la prière de « taraouih », la visite des proches, le « lèche » vitrines en prévision de la fête de l’aid, mais aussi et de façon tout à fait secondaire, le divertissement, comme pour se donner l’illusion de vivre, en souvenir de cet « autrefois » d’une société algérienne du juste milieu, qui savait conjuguer le spirituel aux saveurs et aux plaisirs de la vie, sans discontinuité durant toute l’année, et sans que cela ne lui soit dicté par quelconque autorité ! Oui, il est de notre devoir d’évoquer la mémoire de nos parents, ces êtres admirables qui savaient se comporter en société et vivre dans le partage et la simplicité, les doux moments de la vie ! Ils avaient un sens aigu de ce qu’il convient d’appeler  la civilité et du respect des fondamentaux de la cohésion sociale! De nos jours, alors que ce mois sacré prône la mansuétude et le pardon, force est de constater, que nous sommes devenus généralement grognons et souvent violents, particulièrement de jour, où la plupart d’entre nous  affichent une mine patibulaire et une nervosité à fleur de peau, comme une « performance » typiquement  algérienne, rarement égalée partout ailleurs. Ce n’est qu’après la rupture du jeun que nous reprenons  quelque peu nos esprits en devenant subitement affables,  l’espace d’une soirée en général richement sucrée et colorée à l’orientale, comme si la courtoisie et les règles de bienséance ont quelque rapport à notre satiété! Oui, il est bien triste de constater que nous soyons réduits à moduler notre comportement en société sur une pratique digestive, qui joue ses prolongations en nocturne au niveau des fast-food, à défaut  d’activités qui nourrissent l’esprit, en lieu et place de ce type de restauration qui forge et configure l’obésité du corps ! Il importe de souligner que la vie de nuit,  qui sous d’autres cieux, rétablit le citoyen dans la plénitude de son équilibre d’un être accompli, n’est certainement pas celle qui gravite autour du seul besoin de consommation et son corollaire, le gaspillage! Elle ne saurait comme chez nous, se limiter en cette occasion, à la tradition des « boukalas », cet exercice mental fait de subtilités et de devinettes, que pratique si bien la gente féminine,  et des jeux de société plus prisés par les hommes ! Mais il faut quand même retenir que le ramadan, au-delà de son aspect spirituel, a cet effet magique de drainer les foules durant la nuit, hors de leurs domiciles. C’est cette dynamique qui est en soi intéressante de par cet élan de spontanéité et cette atmosphère festive exceptionnelle, qu’il faudra nécessairement capitaliser, valoriser et accompagner pour en faire, le point de départ à une authentique vie de nuit, totalement inscrite dans la joie de vivre, dans la quiétude et dans la durabilité.

INTERDEPENDANCE DES VIES DE JOUR ET DE NUIT!

Dans mon article, « ce que la ville doit à l’esprit et à la raison » paru dans le quotidien d’Oran du samedi 06 juillet 2013, j’ai eu à évoquer cette question de façon succincte, au point où j’ai estimé nécessaire d’y revenir de façon un peu plus approfondie, afin de mieux étayer ma pensée par rapport à cette question capitale qui doit retenir toute l’attention des pouvoirs publics, puisque ne pouvant être du seul domaine exclusif des collectivités locales. J’avais alors souligné, que si le retour à la normalité de la vie de nuit ne saurait être décrété, il constitue par contre, un message fort d’une Algérie qui a vaincu progressivement sa peur et qui à retrouver quelque peu, sa joie de vivre d’antan. Alors, si cette question est d’un intérêt stratégique en terme d’image et de marketing pour notre pays et que nous soyons disposés à ressembler tout au moins dans ce domaine, à ceux qui comme la Tunisie d’hier, le Maroc ou la Turquie d’aujourd’hui, nous attirent  par centaines de milliers  chaque été, nous devrions faire en sorte, qu’elle soit inscrite dans une démarche collective où chacune des parties concernées se doit d’apporter son concours! Mais avant tout, ne faut-il pas faire remarquer, que la promotion de la vie de nuit ne saurait être perçue, indépendamment de la vie de jour dont elle constitue le prolongement naturel! On effet, comment peut-on prendre goût aux sorties nocturnes, quand on peine déjà à boucler sa journée et que l’on est exténué par les problèmes d’un quotidien, fait de stress, d’embouteillages, d’attentes devant les guichets et de chaines interminables ! Si d’aventure, les gens daignent sortir le soir malgré tout, la raison majeure en est probablement, la recherche d’évasion face à leurs conditions d’exiguité dans leurs cités dortoirs et d’une cohabitation, souvent des plus difficile. Ceci m’amène à dire, que la fréquence et l’intensité des activités nocturnes ne sauraient se mesurer au degré de la canicule ou du froid. Sinon, Sidney en Australie et Monréal au Canada seraient des villes sans vie de nuit ! Cela correspond plutôt, à un besoin biologique de vie en société en toutes saisons, fortement souligné par la recherche de détente et de loisirs au sein d’espaces conviviaux, qui restaurent la dignité humaine! Promouvoir la vie de nuit, s’est faire en sorte que par exemple, les « hallabas », ces « trayeurs » d’essence et de mazout, ces « chenilles », ces « carpocapses » qui minent de l’intérieur la « pomme Algérie », au profit de nos voisins, sans honte bue, ne soient plus le cauchemar des citoyens de Tlemcen, de Tebessa de Souk-Ahras et de bien d’autres villes frontalières, qui passent le plus clair de leur temps, au niveau des stations de NAFTAL et autres privés, dans des chaines interminables de jour comme de nuit ! Encourager les gens à sortir, c’est aussi, entreprendre la mise en œuvre de plans de transport efficients pour les grandes villes, qui puissent assurer une meilleure fluidité de la circulation, tout en améliorant les conditions de fonctionnement, de sécurité et de confort des transports publics, qui pour la plupart, imposent leur diktat à leur clientèle. Quel regret de cette époque pas si lointaine, où les clients étaient traités avec égard et courtoisie, par des chauffeurs de taxis en uniforme et rasés de frais ! La vie de nuit, c’est aussi, une capitale et des métropoles mises à niveau, dans la conformité des standards internationaux ! A ce propos, n’est-il pas judicieux  au niveau de l’axe Boumerdés-Alger-Tipaza, de songer au mode de transport maritime !  Cela donnerait un charme fou à la capitale, qui avec un peu plus d’imagination en matière d’aménagement  autour de sa baie et du boulevard de tripoli à Hussein-Dey, qui gagnerait à être intégré à la façade maritime, pourrait largement rivaliser avec Marseille et pourquoi pas, avec Istamboul pour peu, que ce projet soit confié et suivi de façon rigoureuse par de véritables spécialistes! Ce n’est là qu’une affaire de réalisation de gares maritimes et d’ouverture au secteur privé, qui saura certainement se rapprocher par exemple, des grecs et des espagnols en situation de banqueroute pour les uns et de crise pour les autres, pour faire aboutir ce projet,  aux plans de ses équipements et de son expertise ! A ce titre, et de façon plus générale, il est bien dommage de constater que la dynamique engagée à l’époque, par le Gouvernorat d’Alger pour la mise à niveau de la capitale, n’a pu être convenablement poursuivie ! Que de temps perdu de par le fait que l’on ne sache pas mutualiser nos efforts et agir au sein d’une synergie d’actions, dans l’intérêt de la continuité du service public, autour de la réalisation de mêmes objectifs! C’est là, l’une de nos plus grandes faiblesses  qui nous colle à la peau, depuis fort longtemps, comme un label et comme une marque de fabrique ! Saurions-nous un jour, nous en défaire ! Parler de la vie de nuit, c’est aussi, faire référence à l’amélioration des conditions de vie de jour, dans les différents quartiers! Quand on aura compris que la bureaucratie est le facteur bloquant de cette dynamique et quand on aura humaniser quelque peu les relations entre l’administration et les citoyens, comme chaque fois promis, alors toutes les contraintes seront levées et il y aura certainement, comme partout ailleurs, de la place pour les sorties nocturnes qui deviendront alors tout simplement, des moments de plaisir et de partage, d’un repas, d’un spectacle, d’un match de football, d’un débat en salle de conférence ou toute autre chose qui procure de la sérénité et de la joie de vivre, dans un pays qui aura enfin, retrouvé ses marques et ses repères ! Non, ce n’est pas un rêve ! Il faut juste y croire ! Cette Algérie de nuit, a belle et bien existé à travers les activités de son opéra et  de ses théâtres régionaux, de ses cinémathèques, de ses cafés populaires dans bon nombre de villes, où l’on venait écouter  de la musique châabi, du malouf et de l’andalou, de ses complexes touristiques de Morréti, de Sidi-Fredj, de Tipaza, des Andalouses, de Bédjaia, de Tizi-Ouzou et d’Annaba, jadis animés et de bien d’autres belles choses qui forgent le respect et l’admiration de cette Algérie d’antan, chantée par Abderrahmane Aziz, Ahmed Wahbi, Rabah Driassa, Khelifi Ahmed, Dahmane El Harrachi, Guerouabi, Meskout et bien d’autres illustres artistes. Oui, tout cela est à notre portée, pour peu que la volonté des hommes soit au rendez-vous et que l’on sache associer les citoyens à ce projet majeur, déterminant pour leur sérénité et leur quiétude !

LA VIE DE NUIT PAR LA VOLONTE COLLECTIVE !

De toute évidence, rien ne pourra se faire sans l’implication citoyenne qui est le premier pas à faire, pour garantir la faisabilité de ce projet et sa durabilité, au-delà du mois de ramadan !  En effet, l’expérience a montré que la réussite de tout projet, dépend de ce que souhaitent les citoyens et non, de ce qu’il sera décidé pour eux ! C’est là, une règle dont on ne peut faire l’économie, de par le fait qu’elle soit déterminante pour la pratique de la bonne gouvernance. Dans ce cas, n’est-il pas judicieux de songer à une consultation des citoyens, la plus large possible, autour de cette question, sous la forme d’un sondage d’opinions ! C’est là, une démarche capitale qui crédibilise l’action de l’autorité qui en prend l’initiative, en même temps qu’elle donne de la considération aux citoyens qui apporteront ainsi leur concours ! Cette pratique, largement usitée ailleurs, est la meilleure manière de dire enfin aux citoyens, que leurs avis comptent et que les pouvoirs publics sont réellement à leur service ! Oui, l’animation nocturne est aussi et surtout, une affaire de disponibilité des services publics, qu’ils soient étatiques ou privés ! Cela veut dire, que les activités commerciales doivent être régies par des clauses contractuelles et des cahiers de charges précis dans leurs contenus et rigoureux dans leurs applications ! L’on n’ouvre pas et l’on ne ferme pas un café ou un restaurant, selon son bon vouloir ! Il y a des règles à instaurer et à respecter! De même, l’animation nocturne ne saurait se limiter, aux seuls centres de villes ! Cela veut dire, qu’en dehors des activités qui ne peuvent être démultipliées en tous lieux, l’on devrait chercher à agir dans la proximité, au niveau des quartiers et particulièrement, les plus peuplés. Il s’agit souvent de ramener de petits équipements pour créer une ambiance conviviale et festive, comme par exemple, des lampadaires pour permettre la pratique de la pétanque ou l’organisation de tournois inter-quartiers, de football. Cela est de nature à recréer l’esprit d’antan, où chaque quartier avait sa propre identité, à contrario de la mixité de nos cités dortoirs d’aujourd’hui, fortement marquées par le repli sur soi, la méfiance d’autrui et bien souvent par des conflits de jeunes en rapport avec la délimitation de leurs secteurs d’influence. A s’y méprendre, c’est là les signes d’une délinquance urbaine comparable à celles des grandes villes d’Amérique du Sud! C’est aux jeunes oisifs dans leurs quartiers, que les activités de nuit profiteront le plus ! L’on devrait pouvoir les occuper sainement, en assurant l’ouverture la nuit, de toutes les infrastructures qui leur sont destinées (maisons de jeunes,  stades et aires de jeux de proximité, piscines, bibliothèques, cybercafés, multimédias, parcs d’attraction…). De même, la FAF devrait songer plus souvent à l’organisation des matchs en nocturne, et ce, tout au long de l’année. Cela aurait pour avantage, de réduire les embouteillages aux alentours des stades, d’atténuer quelque peu l’absentéisme, ainsi que le phénomène de violence. C’est là, un minimum d’activités basiques à promouvoir, indépendamment des initiatives que devront prendre les différents secteurs, au sein d’une solidarité agissante, pour assurer une permanence des activités événementielles dans différents domaines.     

*Professeur

 

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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