SENOUCI Brahim-L'ensauvagement tranquille du monde

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L'ensauvagement tranquille du monde

par Brahim Senouci

Cannes, France. Un bijoutier se fait brutaliser puis dévaliser par un jeune malfrat qui arrive à prendre la fuite avec son complice. Il n'ira pas bien loin. Le bijoutier en question a le temps de l'ajuster alors qu'il lui tourne le dos sur son scooter, et de le tuer. 

L'opinion s'enflamme. En l'absence de sondages, un petit tour sur les réseaux sociaux montre que la majorité de la population approuve ce meurtre. Car il s'agit d'un meurtre. La victime ne présentait aucun danger au moment où elle a été abattue. Il n'empêche. La vox populi innocente le meurtrier et chante ses louanges. La peine de mort a beau avoir été abrogée en France, elle ne l'a pas été dans les esprits. Elle est même en quelque sorte privatisée puisque tout un chacun peut s'estimer en droit de l'exercer. Ce n'est pas une bonne nouvelle. 

Autre chose. Un avion décolle de la Martinique pour Paris. Au bout de deux heures de vol, une passagère entend une conversation en arabe. Elle pense immédiatement, naturellement, qu'un détournement se prépare. Elle va voir le commandant de bord en lui annonçant que l'avion risque d'exploser en plein vol. Demi-tour toute, retour à l'aéroport de Martinique. Branle-bas de combat, interrogatoires, fouilles au corps. Rien ne peut être retenu contre les arabophones à l'origine de tout ce désordre (c'est bien connu que, derrière chaque catastrophe, il y a une tête d'Arabe, de musulman, c'est comme la mode, c'est tendance, sauf que la tendance a tendance à s'éterniser et que ça commence à bien faire !). Les passagers embarquent de nouveau et l'avion repart. Question au procureur (oui, on a fait appel à un procureur !) : Quelque chose à retenir contre la passagère ? Rien, répond-il, sinon la féliciter pour son républicanisme ! 

La Syrie. J'évite le sujet parce qu'il fait déjà l'objet d'un flot de commentaires. Je l'aborde aujourd'hui, sans prétention à l'éclairer, mais juste pour en extraire quelque chose qui le dépasse. Résumons-nous. Irak 2003 : Sur la base d'un mensonge avéré, les Etats-Unis fondent sur ce pays, dissolvent l'armée et font pendre son président. Fin annoncée de la tyrannie ? Le paysage actuel n'incline pas à répondre positivement. Le pays est en train de se déliter dans la boue et le sang, au rythme ordinaire de centaines de morts quotidiennes. 

Libye 2012 : La France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, mais aussi les Emirats Arabes Unis, avec le soutien efficace de l'Arabie Saoudite et du Qatar volent au secours des insurgés de Benghazi. C'est qu'il y a urgence. Si l'on n'y met bon ordre, le tyran tripolitain promet un carnage qu'il convient de prévenir. Cette fois-ci, les choses sont faites dans les règles. L'ONU donne son imprimatur, mais simplement pour assurer une zone d'exclusion aérienne. Qu'à cela ne tienne. Poussés par l'enthousiasme juvénile de Sarkozy et de Bernard-Henri Lévy, la coalition en profite pour débarrasser le peuple libyen de son dictateur qu'elle donne en pâture à ses ennemis pour un lynchage télévisé. 

Alors, la Libye aujourd'hui ? Une démocratie sereine, une société paisible et démocratique ? Pas vraiment. La boussole en l'occurrence indique plutôt la direction de l'Irak. 2013 : on reprend les mêmes, à peu de choses près, et on recommence, enfin presque. 

Les velléités guerrières du couple aussi improbable qu'éphémère formé par la France et les Etats-Unis ont fondu devant l'attitude des Russes qui refusent qu'on leur fasse un énième enfant dans le dos. Le doute n'est pas permis. Sans qu'il soit besoin d'épiloguer sur les tenants et aboutissants de la crise en Syrie, Hollande ne pouvait pas ignorer le sort de la Syrie si l'intervention avait eu lieu. Il n'a pas semblé non plus, une fois lâché par Obama, être gêné de se retrouver en tête à tête avec les parangons de vertu et de démocratie que sont l'Arabie Saoudite, la Jordanie, les Emirats. 

Un petit détour par le Congo, pas Brazzaville, l'autre, celui des Kabila, père et fils. Ce pays vit une guerre civile qui dure depuis des décennies. Il y a au bas mot six millions de morts. Pourquoi ? Pour une province qui s'appelle le Kivu, province que convoite le Rwanda voisin, cent fois plus petit que le Congo mais infiniment mieux armé. 

L'intérêt du Kivu ? Il regorge de minéraux précieux. C'est là, en particulier, que se trouvent les plus grandes réserves de coltan, un alliage naturel qui constitue l'âme des téléphones portables. Sans coltan, plus de conversations stupides dans les métros bondés, plus moyen d'échapper au marasme du beauf qui se fait enguirlander en direct par sa femme parce qu'il a oublié de prendre du pain. C'est dire l'intérêt de cette matière première ! C'est pour ça que des millions de Congolais meurent. Et Hollande, Obama, Cameron et compagnie ? Aux abonnés absents ! Il y aurait moyen d'arrêter le carnage. Il suffirait de faire les gros yeux au petit Rwanda et cesser de porter à bout de bras Kabila. Mais ils ne le font pas, pas parce qu'ils s'en fichent (peut-être que si, après tout) mais parce que les affaires liées au coltan n'ont jamais été aussi prospères pendant que les Congolais, de plus en plus misérables, meurent chaque jour davantage. 

La télévision. Oui, je sais, il est de bon ton de taper sur les médias. C'est vrai qu'ils ne sont pas ontologiquement coupables. Il y a quelques bons journaux qui tentent de donner une information authentique, mais ils ont une audience confidentielle. La majorité, le mainstream comme on l'appelle, est en phase avec l'opinion. En fait, il s'agit d'un marché de dupe. Dans les pays démocratiques, les gens pensent sincèrement être libres. En fait, ils le sont beaucoup moins qu'ils ne le croient eux-mêmes. Il faut lire l'ouvrage magistral de Noam Chomsky, éminent linguiste et activiste étasunien, « La fabrication du consentement ». Un exemple : les informations télévisées annoncent des faits divers tous les jours, de plus en plus sanglants. A la fin de la période de conditionnement, on procède à un sondage. On fait mine de découvrir alors que l'opinion se prononce majoritairement pour un tour de vis sécuritaire. De la même manière, La vox populi est devenue, sans qu'elle le sache, la voix de son maître. 

Les faits de société sont aussi très instructifs. Un « jeu » apparu en Angleterre a eu beaucoup de succès en France. Il s'appelle le « happy slapping » (la gifle joyeuse). Un groupe choisit quelqu'un au hasard dans le métro et le gifle consciencieusement. L'agression est filmée et postée sur Internet. Des variantes se développent hors du métro. 

Pour s' « amuser », un groupe d'adolescents peut décider de rosser un passant totalement inconnu. Cela peut aller quelquefois jusqu'à la mise à mort. 

Voici le monde tel qu'il va. Autrefois, les cyniques étaient reconnaissables au fait qu'ils s'en vantaient. Churchill disait qu'il ne croyait que dans les statistiques qu'il avait falsifiées lui-même. Actuellement, tout le monde revendique le drapeau de la morale. Le pire, c'est qu'ils y croient. Je suis persuadé qu'Obama ou Hollande seraient très étonnés si on leur disait qu'ils ne sont pas des êtres parfaits. C'est une des caractéristiques de la barbarie que de ne pas reconnaitre son reflet dans un miroir. La barbarie de l'Occident est une barbarie tranquille, soft. Il l'exerce pour maintenir le monde dans un état qui ne sert que les siens. Ce maintien passe par la propagation de la misère et du chaos chez les autres. Qu'à cela ne tienne. La primauté de l'Occident vaut bien le sacrifice du reste de l'humanité. 

Pas de fatalité ! Mais de la lucidité. Il nous faut comprendre, nous gens du monde d'en bas, que nous devons nous construire pour nous défendre. Il ne s'agit pas de rentrer dans une logique guerrière mais faire rentrer dans la gorge de l'Occident la vision qu'il a de nous, gens de peu, tout juste bons à lui fournir du pétrole et du coltan, et qu'il peut massacrer à son gré s'il leur venait à l'esprit de tenter de bousculer l'ordre du monde. 

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

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