MESSAGE DU Pr KANDIL
Du cours élémentaire, nous conservons le souvenir d’un vieil instituteur qui pratiquait l’enseignement selon le mode de fonctionnement du système colonialiste : Mr Salabouss. Ce fut le premier contact, si j’ose dire, avec ce que j’ai qualifié de premier type.
Régulièrement, après des matinées consacrées à l’apprentissage de l’alphabet, de la lecture, de l’écriture et du calcul, particulièrement ,les révisions des tables de multiplication sous la menace omniprésente du bâton de Mr Salabouss, les après-midi étaient consacrées invariablement aux sorties en forêt .La leçon de choses et la gymnastique que nous étions sensés faire, se réduisait selon les saisons, à chercher des fleurs pour l’épouse de Mr Salabouss ,ainsi que des asperges ou des champignons. Les plus chanceux ou débrouillards étant récompensés par des bons points !
Nous ignorions dans notre insouciance enfantine que nous allions être bientôt confrontés au cours moyen à des élèves européens rompus aux règles du calcul, de la grammaire et de l’orthographe. Seuls deux ou trois rescapés de Mr Salabouss (dont mon vieil ami Mr Khelladi et moi-même) furent admis à ce fameux cours moyen sanctionné par l’examen de 6° ou par le certificat d’études. Cette année du cours moyen constituait déjà un premier barrage érigé pour filtrer le nombre d’autochtones destinés à franchir la première étape du passage vers le collège. Les autres élèves éliminés pour diverses raisons étaient destinées à grossir « l’armée de réserve » c’est-à-dire, de la main d’œuvre destinée à l’usage de la machine économique coloniale. Abondante, peu chère, et exploitable à souhait. N’eut-ce été les louables efforts de nos parents,(Allah yerhamhoum) qui nous firent suivre des cours supplémentaires, nous n’aurions jamais pu franchir ce premier barrage.
Le passage au collège (l’actuel Lycée Djamel el Afghani) ),nous fit découvrir de façon plus évidente encore ,ce que j’ai appelé plus haut les enseignants selon le mode colonialiste ,ceux du premier type: Mal notations des indigènes, insultes, jugements et appréciations péjoratives, tels étaient les instruments utilisés à notre encontre. Il nous fallut une volonté de fer pour surmonter ces différents écueils.
Me reviennent en mémoire, quelques épisodes particulièrement humiliants dont le but à peine voilé était de nous décourager :
$1· Le premier était celui de la visite médicale
Alors que nous étions en cours d’arabe, en classe de 4eme, avec notre admirable enseignant, Si Ahmed Bettahar, une mission médicale se présenta au collège pour un dépistage. Le surveillant général ouvrit la porte en demandant aux élèves européens de s’y présenter. Il fut intimé l’ordre aux « autres », c’est-à-dire nous, d’attendre et de n’y aller qu’une fois la visite médicale achevée pour les premiers. Ce clivage racial, préférentiel, et choquant firent prononcer à notre défunt maître, Allah yerehmah, cette phrase que nous n’oublierons jamais «Dar darna wal kleb tardouna »
$1· Le second épisode est en rapport avec un professeur de philosophie qui a marqué notre fin de cursus en 1953 : Mr Paxiannus.
Tristement connu pour ses positions racistes et pétainistes, récupéré par l’institution de l’enseignement après la 2° guerre mondiale, Mr Paxiannus s’évertuait à développer tous les mécanismes pervers destinés à nous déstabiliser et à nous décourager(nous étions de façon constante, les derniers de sa liste.les prétendument plus mauvais et plus nuls qui « feraient mieux d’aller travailler sur les marchés pour aider leurs familles au lieu de rester au collège en lui faisant perdre son temps. » Nous étions trois d’origine algérienne dans la classe de terminale sciences expérimentales :Melle Hantaz Malika,Mr Khelladi Mokhtar ainsi que moi-même, à subir ses attaques quotidiennes ,les neuf autres chouchoutés étaient évidemment des européens. Il nous dit un jour, pour appuyer ses dires racistes « que même son chien écoutait Beethoven ou Mozart avec plus de respect lorsqu’il mettait son disque, contrairement à nous ,là-bas, au fond de la classe qui ne comprenions rien à rien ! »
Inutile de vous dire que lorsque les résultats du bac « Sciences expérimentales » furent promulgués, seuls les trois musulmans sus nommés furent reçus avec mention ; le reste de la classe étant recalé au grand drame de Mr Paxiannus.
Pour nous délecter de notre victoire et nous venger de sa méchanceté, nous décidâmes, mon ami Mr khelladi et moi-même d’aller lui rendre visite à la librairie « Garçon » dont il était un accoutumé et où il lisait son journal. Mokhtar et moi-même nous y rendîmes, déambulant sous son nez de façon ostentatoire, en effectuant des allers-retours entre les rayonnages pour mieux le narguer.Il finit par être écœuré par notre comportement et quitta les lieux à notre grande satisfaction. Quel agréable souvenir !
$1· Le dernier épisode enfin (j’ai volontairement relevé les anecdotes les plus marquantes) est celui de la préparation à l’instruction militaire sous la férule de Mr Lagardec, notre professeur de gymnastique.
Il faut savoir que l’attestation de préparation à l’instruction militaire était un document indispensable pour le dossier de candidature au BAC .
Mr lagardec,pensant que nous l’ignorions et sans compter sur notre maturité précoce, nous intima l’ordre d’aller jouer au ballon en nous libérant, alors qu’il se préparait à former les élèves européens.
Nous ne l’entendîmes pas de cette oreille, et, protestâmes vigoureusement en criant « Donnez nous notre attestation, donnez nous notre attestation ! »
Les enseignants du premier type étaient donc rompus aux divers obstacles à dresser pour les élèves musulmans dans leur parcours scolaire. Heureusement pour nous, au sein de ce système colonial filtrant et sélectif, coexistait un deuxième type d’enseignants dont j’ai parlé en introduction.
Des noms dont le souvenir ne s’est pas effacé, pour avoir fait leur travail normalement, sans racisme ni injustice, pour avoir donné le meilleur de leur pédagogie dans notre formation.
J’évoquerai l’inénarrable, l’impartiale et très compétente Melle Gemini, notre professeur de mathématiques, qui bien que fréquentant de façon assidue la haute sphère coloniale qui se rencontrait à « l’hôtel Fresoul », nous dispensa un enseignement remarquable dont se souviennent encore des générations de mascariens.
Dans le même sillage, j’évoquerai également, Mr Benamour, d’origine israélite et de cœur Algérien,(resté en Algérie, bien après l’indépendance).Homme de grande culture, il pratiquait l’arabe classique et dialectal, nous étonnant par sa connaissance du Saint Coran. Cela nous ouvrit les yeux sur un autre aspect de l’institution éducative sous la colonisation.
$1· Je ne pourrai achever cette intervention sans m’incliner devant la mémoire de nos remarquables maîtres Algériens, exemples de droiture, d’abnégation et de sacrifice dans une période si complexe. Si j’en ai omis quelques uns, qu’il me soit pardonné.
Mrs Si Ahmed Bettahar, notre enseignant d’arabe dont nous avons parlé et qui était aussi notre phare dans notre formation politique, Mr Bouyacoub, surnommé « pipo » à cause de son éternelle pipe à la bouche, professeur remarquable de physique-chimie mais maitrisant également l’arabe et les sciences naturelles, Mr Ahmed Guermala ,un modèle de rigueur et de discipline. De façon moins directe,mais non moins importante, des personnalités Algériennes marquantes, nous firent forte impression à l’image de Mrs Haddam Mokhtar ou Mohamed Meliani.
A tous ces enseignants du deuxième type, à tous ces enseignants compatriotes, nous disons Merci.
Avant de vous quitter, souvenez vous d’une seule chose, jeunes générations montantes qui allez devoir affronter l’enseignement supérieur avec toutes ses contraintes, qui devraient aussi apprendre l’anglais pendant cet été pour vous y préparer, qui devez également vous adapter aux modifications induites par l’intelligence artificielle, souvenez vous d’une seule chose :
« Gardez au fond de votre cœur, précieusement, le nom et l’image de vos enseignants en respectant leur mémoire et en leur rendant hommage. Dieu nous le recommande » .
Je vous remercie pour votre écoute et m’excuse d’avoir été si prolixe.
Mr Kandil Senouci