Connexion  

   

LA PRESSE  


presse

   

HOMMAGE A Mohammed OULD KABLIA  

Le jeudi 29 aout 2013 nous quittait Mohammed OULD KABLIA, Moudjahed, grand serviteur de l’état et ancien élève de notre lycée. Pour honorer sa mémoire, nous vous présentons sa biographie

Biographie de Mohamed OULD KABLIA

Mohamed Ould Kablia est né le 6 mai 1932 à Tanger où son père exerçait depuis deux années, la fonction d’officier de la garde du sultan Mohamed V. Il fait avec son frère Dahou et sa sœur Zoubida des études primaires dans cette ville avant le retour à Mascara de toute la famille en 1940 au lendemain de la déclaration de guerre entre l’Allemagne et la France.

LIRE LA SUITE

 

   

Le noeud gordien algérien (12e partie)

Le noeud gordien algérien (12e partie) : Pistes de réflexion

par Brahim Senouci* Et Mustapha Benchenane**

Après les symptômes et les causes, nous abordons dans cette troisième partie les pistes de réflexion pouvant déboucher sur des issues à la crise. Il n'y a bien sûr aucune solution »clés en mains» proposée, mais des pistes, des éclairages, susceptibles d'aider à identifier des solutions. Car elles existent ! Mais leur recherche, leur mise au jour ne se réaliseront qu'au terme d'un débat large, apaisé, sans tabou. C'est à ce débat que nous appelons, autour des thèmes que nous avons soulevés et éventuellement d'autres…

L'identité est un facteur essentiel à la cohésion d'une société et d'une Nation. Nous avons souligné dans la livraison consacrée à ce thème l'état de délabrement qui la caractérise en Algérie (Septième partie : L'identité et l'absence d'une épine dorsale linguistique, Le Quotidien d'Oran, 29 janvier 2015). Une sortie de crise est conditionnée, entre autres, par le règlement trop longtemps différé de cette grave question.

QU'EST-CE QUE L'IDENTITE ?

Il s'agit de la désignation paradoxale de deux contraires : ce qui est identique (unité) et ce qui est distinct (unicité).

Chacun de nous a une identité propre, fruit d'une histoire personnelle, d'une croyance, d'une généalogie… L'anthropologie ne considère pas l'identité comme une qualification individuelle mais comme un rapport. Ainsi, la question de l'identité est non pas «qui suis-je ?», mais «qui je suis par rapport aux autres, que sont les autres par rapport à moi ?». Le concept d'identité est donc inséparable de celui de l'altérité.

L'identité nationale, qui n'est pas la somme des identités particulières, constitue une sorte de marqueur collectifpour la nation.Elle est forgée par la géographie, l'Histoire, la langue, le système de croyances.

LA GEOGRAPHIE

Vaste pays, l'Algérie se caractérise par la diversité des caractères. L'une des missions essentielles du système éducatif de transcender les cultures particulières au profit d'une culture commune. C'est lui qui transmet, dans une langue partagée,les valeurs fondamentales dans lesquelles se reconnait le plus grand nombre, qui constituent le gage de la cohésion. A un degré moindre, le système de communication contribue au renforcement de l'identité en surmontant les « fatalités » géographiquespar la casse des cloisonnements, le désenclavementdes régions, la réduction, grâce à la multiplication des échanges, des structures et des systèmes d'identification archaïques. Si Constantine et Annaba étaient à deux ou trois heures de TGV de Maghnia ou Oran, que resterait-il du régionalisme ? Ce serait le plus sûr moyen d'obtenir un brassage des populations par le commerce, les études, le tourisme, les mariages… L'exemple suisse montre comment un volontarisme peut venir à bout d'une géographie peu propice à l'unification.

L'HISTOIRE

Elle joue un rôle déterminant dans la construction de l'identité d'un peuple. Les Algériens ont été bien malmenés, non seulement par l'Histoire mais aussi par son écriture. Jusqu'à présent, elle a été écrite par les colonisateurs ou par le régime.Le colonisateur a conduitson entreprise de domination et d'infériorisation des colonisés au nom d'une prétendue «mission civilisatrice». Ce n'est pas le moindre de ses ravages que d'avoir alimenté la haine de soi chez les colonisés.Le régime en place depuis 1962 présente l'Histoire comme une épopée dans laquelle il tient le beau rôle.Personne ne croit à cette fiction. Le mensonge institutionnel nourrit à son tour la haine de soi.

Il est temps que l'Histoire de l'Algérie soit écrite par des historiens honnêtes et compétents. Nous n'en manquons pas. Il y a déjà eu les travaux de feu Mahfoud Kaddache notamment. Il y en a d'autres mais ils restent largement confidentiels. Il faudrait que la jonction se fasse entre ces travaux et la population. Cette histoire sincère pourrait faire office de thérapie et contribuer à faire refluer le sentiment d'infériorité. Elle pourrait aussi être un vecteur d'unification et de consolidation d'un sentiment national. Elle participerait de l'écriture d'un «roman national» auquel adhérerait le plus grand nombre.

LA LANGUE ET LE SYSTEME EDUCATIF

L'arabe dit «classique» est une langue de civilisation. Avant qu'il ne soit dévoyé, l'arabe dialectal était un sous-produit de l'arabe classique, avec des apports résiduels du berbère, langue originelle des Algériens.On ne peut pas construire une identité commune sur une fragmentation linguistique. Il faut une langue unificatrice qui, en Algérie, ne peut être que l'arabe classique, même si cette langue doit être mise à jour. Certains prétendent que cette langue est trop immergée dans la religion pour pouvoir accéder à la modernité. Ceux-là oublient qu'elle a été la langue des plus grands médecins, mathématiciens, géographes, philosophes, poètes, qui comptent dans l'histoire de l'humanité. Elle a donc été la langue de la rationalité sous ses trois formes : théorique, critique et autocritique. Si les peuples arabes se sont retrouvés dominés à un certain moment de leur histoire, ce n'est pas à cause de la langue arabe. C'est au contraire la perte de cette langue qui est aujourd'hui un facteur de régression en termes de civilisation.

Facteur d'unification à l'intérieur des frontières de l'Algérie, la langue arabe est aussi un vecteur formidable de communication avec les pays et peuples voisins, notamment ceux du Maghreb. Cette langue doit être portée, véhiculée par un système éducatif digne de ce nom. Pour cela, il faut la réunion de plusieurs conditions, les principales étant la formation des maîtres et des formateurs, des programmes ainsi qu'une pédagogie permettant de développer l'intelligence, les capacités d'analyse, l'esprit critique, la rationalité sous ses trois formes. Le système éducatif doit être au cœur de toute stratégie de développement. Il doit éduquer à la citoyenneté, l'ouverture aux autres. Il doit aussi, à l'instar de ce qui se fait aux Etats-Unis, enseigner l'estime de soi.

Le bilinguisme absolu, séduisant en théorie, serait impraticable dans la réalité et même dangereux car il pourrait être gros de la naissance et du développement de deux sentiments d'appartenance différents en attendant d'être antagonistes. On voit les dérives de ce système en Belgique, pays au bord de l'éclatement en deux entités hostiles. Un moyen terme consisterait à rendre obligatoire, durant tout ou partie de la scolarité l'apprentissage de la langue berbère sur l'ensemble du territoire algérien. La reconnaissance de l'égalité de dignité des langues serait un facteur d'apaisement et de respect mutuel et viendrait en appui de l'enseignement de l'Histoire qui doit accorder toute son importance au volet berbère, avant et après l'arrivée de l'Islam, de l'histoire de l'Algérie.

La prolifération des universités et des centres universitaires a produit cette situation absurde qui fait que de jeunes Algériens peuvent faire toute leur scolarité, du primaire jusqu'au doctorat d'Etat et au poste de professeur d'université sans quitter sa ville de naissance. Il faut casser cette logique propice à l'enfermement régionaliste en exigeant que le cursus universitaire comporte une partie de la durée des études dans une autre wilaya du pays. On peut aussi demander aux enseignants de faire une partie de leurs années de service hors de chez eux. A charge pour le Pouvoir de réunir les conditions pour que cette mobilité puisse s'opérer dans des conditions dignes.

IDENTITE ET NATION

L'identité est le sentiment, propre à chaque individu, de faire partie d'une nation. Ce sentiment naît de l'intériorisation de repères identitaires, résultant de la visibilité permanente de points communs, de symboles. Cette visibilité est, en général, organisée volontairement par l'Etat afin d'en imprégner les individus dès leur enfance. Ainsi, L'Égypte revendique la pierre de Rosette qu'elle considère, selon l'égyptologue Zahi Hawass, comme une icône de l'identité égyptienne. Jean-Claude Carrière estime que le Mahabharata »est l'Inde même», et que tous ses détails «font encore aujourd'hui partie de la vie quotidienne de l'Inde. L'Espagne traîne le souvenir encore proche de la guerre civile qui a dressé des Espagnols contre d'autres Espagnols. Avec la transition et l'intronisation de Juan Carlos, l'identité espagnole s'est construite sur un pacte d'oubli. L'hymne national espagnol est ainsi l'un des rares hymnes sans paroles…

Mais comment s'articulent les identités individuelle et collective, quel est le rôle de la nation qui leur sert de support ? L'identité collective ne serait-elle que l'expression nationale du partaged'une origine commune, d'un passé commun, par l'ensemble des individus qui constituent le peuple, qui forment la nation ?Dans ce cas, elle doit pour sa permanence faire appel à l'Histoire et à la mémoire, souvent perçues à tort comme interchangeables. La mémoire est une caractéristique évolutive, un «phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel, toujours portée par des groupes vivants», selon l'historien Pierre Nora. A contrario, toujours selon le même Pierre Nora, «l'Histoire est une reconstruction problématique et incomplète de ce qui n'est plus.» L'Histoire peut être falsifiée. Elle l'est, de fait. Sa relation d'une guerre peut présenter des divergences considérables, selon qu'elle soit écrite par les vainqueurs ou les vaincus. La mémoire ressort plus de la perception, avec une part d'irrationnel et de légende.

C'est à elle que nous devons le mode de vie, les codes qui nous gouvernent aujourd'hui sans que nous en connaissions forcément l'origine. C'est elle qui est le siège de nos repères identitaires.

L'identité collective, creuset du sentiment national, n'est pas déterminée par les gènes.Ainsi, la Somalie a beau être l'un des rares pays homogènes d'Afrique, sur les plans ethnique, religieux et culturel, elle est en lambeaux. Rien de plus simple quand on a envie d'assassiner son voisin que de pointer en lui une différence. Si ce n'est la religion ou l'ethnie, ce sera la tribu, le clan ou le lignage.

La majeure partie de l'Occident est constituée de pays à forte tradition d'immigration. Ils se caractérisent par une forte diversité culturelle, religieuse, voire linguistique, comme c'est le cas des Etats-Unis, du Canada, de la Belgique ou de la Suisse. Cela n'a pas empêché, en dépit de conflits sérieux mais d'une intensité trop faible pour faire basculer les Etats, la démocratie et la prospérité économique de s'y enraciner. Il suffit d'ailleurs d'une crise économique sévère pour que l'Occident, notamment l'Europe, retrouve des accents «somaliens», exprimant le désir de renouer avec ce en-dehors de quoi, voire contre quoi, il s'est construit, la place de la religion notamment. Ainsi, un débat très dur s'est instauré en 2004-2005 à propos de l'inscription, dans le préambule du projet de constitution européenne, des «racines chrétiennes» de l'Europe.

L'opposition de la France laïque a fait capoter cette initiative. Mais l'évocation même de cette possibilité en dit long sur l'état d'esprit de ses promoteurs et la perte de confiance dans le modèle à prétention universelle sur lequel s'est construite l'Union Européenne. Il fallait, à leurs yeux, non seulement se replier sur le pré carré d'une identité excluante, mais aussi empêcher à tout prix l'irruption d'un membre non chrétien (la Turquie en l'occurrence) dans le club. Le cardinalJosef Ratzinger, futur Benoît XVI, s'était invité au débat en déclarant que «l'admission de la Turquie serait une grande erreur». La diversité n'est donc pas une garantie non plus de la pérennité d'une société cohérente.Les facteurs sociaux, misère, déclassement, crise économique, font voler en éclats la plus raffinée des constructions théoriques, la plus généreuse des constitutions. Il ressort de ces exemples que ni l'homogénéité ni la diversité ne sont le gage d'une identité collective apaisée et pérenne. Ni l'option du passé partagé, ni celle de l'inscription collective dans un projet commun ne constituent des assurances tous risques.

C'est que l'identité n'est pas donnée pour l'éternité. Elle est l'objet d'une construction permanente.L'adosser à la seule mémoirerisque de la figer, de lui faire perdre sa substance. De plus, dans des pays où coexistent des mémoires antagoniques, cela peut entraîner des conflits internes quand des mémoires minoritaires ne trouvent pas à s'exprimer dans le récit national. En France, les crispations dans les banlieues ont certes à voir avec les problèmes sociaux, les discriminations, le racisme, mais il y a surtout la toile de fond de l'esclavage et du colonialisme. Les jeunes des cités-ghettos ont vite fait d'établir un continuum entre leur situation actuelle et celle de leurs aïeux. Le silence, voire le mépris dans lesquels sont tenus ces événements historiques leur sont désormais insupportables. Ils éprouvent ainsi un sentiment d'exclusion symbolique de la mémoire française. Ainsi se développent au sein d'une même nation des identités locales, qui n'ont rien d'un folklore sympathique, mais dont l'affirmation exclusive est une source de danger.

Construire l'identité sur un pacte d'oubli, comme l'a fait l'Espagne, pour conjurer d'éventuels démons familiers, et l'adosser à une projection permanente dans le futur, l'inscrire dans un horizon commun, n'est pas non plus exempt de risque. Il n'y a pas de problème tant que la croissance économique et la prospérité sont au rendez-vous. Qu'elles déclinent et c'est le retour assuré à la surface des crispations identitaires et la convocation de mémoires douloureuses pour donner corps à des velléités séparatistes.

Les Etats-Unis mettent en avant un esprit national, construit sur l'égalité des chances pour tous, un très grand engagement à l'égard des droits de l'homme et de la liberté, un degré assez haut de justice et de rectitude, un respect des différentes cultures et des religions, etc. Ce sont les dogmes ou les «principes suprêmes» qui unissent tous les Américains, sans tenir compte de leur origine, ni de leur couleur. La mythologie de la conquête de l'Ouest sert de substitut à l'absence de profondeur historique. Elle permet d'entretenir l'illusion d'une innocence ontologique et de justifier les nombreuses équipées sanglantes et immorales contre le Vietnam, l'Irak… Il est remarquable que la communauté noire soit la plus rétive à accepter de se couler dans ce moule commode. Il s'agit de la communauté qui a connu l'esclavage et la ségrégation et qui est aussi la plus misérable des Etats-Unis…

ET L'ALGERIE ?

La Constitution, dans son préambule, proclame d'emblée que «Le peuple algérien est un peuple libre, décidé à le demeurer» et que «son histoire est une longue chaîne de luttes qui ont fait de l'Algérie de toujours une terre de liberté et de dignité».

Y aurait-il des peuples décidés à sacrifier leur liberté, désireux de se soumettre et de faire de leur pays une terre de servitude et d'avilissement ?

Il est pour le moins singulier de commencer la Loi fondamentale par un truisme et de faire de ce truisme le fondement de la citoyenneté. Ensuite, réduire l'histoire de l'Algérie à une «longue chaîne de luttes» peut laisser penser que cette histoire n'a pas comporté des phases de construction durant laquelle se sont exprimés des bâtisseurs, des philosophes, des poètes.

L'histoire de l'Algérie n'aurait-elle été qu'une suite de parenthèses dans les histoires de ses envahisseurs ? Voici un symbole peu propice à l'identification pour les Algériens. Comment se reconnaître dans cette définition aussi défensive, qui ne propose comme horizon que la réaction à d'éventuelles attaques ennemies mais pas d'action ?

Immédiatement après vient la proclamation du fameux triptyque «Islam, Arabité, Amazighité», défini comme étant le fondement de l'identité nationale. Ce triptyque en forme de mille-feuilles est aussi un symbole du manque d'imagination. Comment croire qu'une telle superposition avait une quelconque chance d'être intégré par la population, qu'elle soit de nature à constituer son viatique et à peupler ses rêves ? En réalité, une telle définition conduit chacun des Algériens à mettre en avant sa part du mille-feuilles au détriment des autres. La synthèse ne s'est pas faite. Le Musulman aura tendance à privilégier la fusion dans la Umma, l'arabiste dans un Baath élargi aux confins de l'Orient, le berbériste à appeler de ses vœux à un retour à la patrie originelle, en passant par l'effacement de 14 siècles de présence arabe et musulmane. Comme le montre Amin Maalouf dans son livre » Les Identités meurtrières», aucune identité n'est dangereuse en elle-même. Ce qui est dangereux en revanche, c'est l'affirmation exclusive d'une identité contre les autres. En fait, la question est de savoir si l'Algérie est un Etat-Nation ou simplement un Etat. La différence n'a rien de sémantique. Un Etat-Nation est un Etat dont les frontières politiques se confondent avec ses frontières culturelles. Une nation ne constitue pas nécessairement un Etat.Le pays basque ou la Catalogne sont reconnus comme des nations faisant partie de l'Etat espagnol. Il existe entre les membres de chacune de ces deux entités un certain nombre de points communs directement observables, la langue, la présence sur un même territoire, la soumission à une même autorité, constituants importants d'une identité collective. Ces deux régions sont soumises à une sorte de prurit nationaliste qui pousse une partie (minoritaire !) de leurs populations à revendiquer l'indépendance. Ce même prurit agite l'Ecosse, la Corse ou, dans une bien moindre mesure, la Bretagne. Mais cette revendication n'a abouti nulle part, non pas seulement du fait du refus des autorités politiques, mais de celui de la majorité des populations qui trouvent leur compte en matière de sécurité et de développement dans leur maintien au sein de l'Etat central.

La scène algérienne présente quelques similitudes avec les exemples ci-dessus. Il y a toutefois une différence de taille, en ce qui concerne l'Espagne en particulier. Ce pays a vécu dans sa chair l'affrontement sanglant entre identités concurrentes. On se souvient du bain de sang de la guerre d'Espagne, du bombardement de Guernica, du supplice du garrot qu'infligeait le pouvoir franquiste aux révolutionnaires basques et catalans. L'histoire de l'Ecosse est jalonnée des mêmes événements sanglants, même s'ils se situent beaucoup plus loin dans le passé.

Rien de tel en Algérie. Même s'il n'est pas question de taire la répression qu'ont subie les militants kabyles de la part du pouvoir central, il faut souligner que, tout en étant éminemment condamnable, elle n'a pas atteint le même degré de cruauté qu'en Espagne ou en Ecosse. De plus, l'intégration de l'Islam par la communauté originelle berbère d'Algérie s'est faite, tous les historiens en conviennent, avec une violence largement contenue. Pour preuve, les Berbères ont eux-mêmes pris le relais des Arabes pour porter le drapeau de l'Islam, notamment en Andalousie. Arabophones et berbérophones se sont également investis dans la lutte contre le colonialisme français. C'est donc que ce qui unissait les populations était plus fort que ce qui les divisait. Il n'est donc pas illogique de postuler que les éléments d'une identité collective existent. Cette identité doit transcender les différences, mais sans les nier.

Plutôt que de la définir comme une somme de caractères, il faut en extraire une synthèse qui permette la projection dans le futur. Il faut introduire une formulation dynamique de l'identité collective en définissant le peuple algérien comme «une communauté de caractère fondée sur une communauté de culture, issue d'une communauté de destin, selon la définition de l'Autrichien Otto Bauer».

Au-delà des qualifications habituelles, il faut, selon Renan, «une âme, un principe spirituel», se résumant «dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune.» L'attitude des Algériens face à l'adversité a toujours été de se rassembler. S'ils ont fait la guerre pour déloger les envahisseurs, c'est sans aucun doute au nom du désir de continuer cette vie commune.

Pour qui parcourt l'Algérie, il reconnaîtra sans peine, d'Est en Ouest, du Nord au Sud, l'existence d'un tempérament national, d'un caractère national,d'un sentiment national, d'une conscience nationale, catégories souvent retenues pour la définition d'une identité collective. Les constituants sont là, présents. La Nation Algérienne existe. Il faut juste la mettre au jour, sur le devant de la scène, comme l'expression d'un peuple qui aura renoué avec lui-même…

* Physicien, Université de Cergy-Pontoise

** Politologue, Université Paris-Descartes Sorbonne

Lire la suite (13°partie)

Le nœud gordien algérien (13ème partie)

Le nœud gordien algérien (13ème partie) : Le système de croyance

par Mustapha Benchenane*& Brahim Senouci**

Nous avons longuement abordé la question du système de croyance dans une précédente livraison (Le Quotidien d'Oran du 5 février 2015). Nous y pointions notamment le décalage, pour ne pas dire le gouffre, entre la pratique religieuse et l'éthique. Nous y voyions une des dimensions, une des causes du problème identitaire. 

Les raisons sont multiples. Il y en a une qui les synthétise. Elle pourrait s'appeler « l'esprit de réaction ». Au temps de sa splendeur, c'est la civilisation arabo-musulmane (rappelons que le « arabo » renvoie à la langue du Livre et non à une quelconque ethnie. Pas de querelles inutiles, de grâce !), qui dictait la marche du monde. Une grande partie de l'humanité s'était enrôlée sous sa bannière et participait de manière active à son rayonnement. Une autre partie, l'Europe notamment, à la notable exception de l'Espagne, de la Sardaigne et d'une partie du Sud, avait réussi à se maintenir hors du champ de l'Islam. Ce n'est pas pour autant qu'elle avait prospéré. Elle était au contraire plongée dans le sous-développement, la misère, la faim. L'Eglise y était toute-puissante et exerçait un magistère sans partage sur la population. Elle veillait à ce que soit aboli tout sens critique, toute velléité de révolte à caractère social. Les Croisades déroulaient le fil de leurs horreurs. L'Inquisition s'annonçait, avec son cortège d'abominations. Le clergé était chargé de maintenir la population dans un état de grande misère intellectuelle. Il imposait une vision littérale du christianisme, quasi apocalyptique. Les autodafés étaient nombreux. Des penseurs, des philosophes fuyaient l'obscurantisme occidental pour trouver refuge en terre musulmane. L'Eglise distribuait des « indulgences » contre argent comptant. Ces « indulgences » étaient censées garantir l'entrée au Paradis à ceux qui en avaient accumulé un nombre suffisant. Peu importait leur conduite ou leur moralité ! 

L'avènement de l'Occident moderne renverse la donne. C'est chez lui que se développent les arts et les sciences, chez lui que les philosophes posent les questions fondamentales qui obsèdent l'Humanité. Le monde arabo-musulman suit la trajectoire inverse. Les livres d'Ibn Rochd sont brûlés. El Farabi est voué aux gémonies. Les arts et les lettres perdent leur lustre. Peu à peu, ce monde se racornit, se crispe, se renferme, avec pour tout message le rappel inutile de sa grandeur enfuie. La liberté de création est mise sous le boisseau. La pratique religieuse devient ostentation. La spiritualité, la sérénité, qui étaient les marques de l'Islam, disparaissent pour laisser place à l'hostilité, le soupçon, la haine. Nous en sommes actuellement sans doute au degré zéro de cette chute séculaire. Est-il possible de la stopper ? 

RELIGION ET RELIGIOSITE 

Les crises sont multidimensionnelles. Historiquement toutefois, elles renvoient à une matrice ultime qui est, d'abord l'interrogation introspective, source de désordre et d'inquiétude, puis l'absence d'interrogation et le repli sur une sorte de pré carré identitaire, formé d'une sorte de plus grand dénominateur commun et qui en l'espèce est l'étalage d'une manière uniforme d'appréhender le fait religieux. Quand la référence est le plus grand dénominateur commun, c'est-à-dire ce qu'on croit avoir en partage avec, sinon l'ensemble, du moins l'écrasante majorité de la société, elle ne peut être qu'étroite. Elle ne peut que s'accompagner du rejet de l'initiative, de la liberté de pensée, d'expression, s'agissant de la pratique religieuse, cette vision étriquée, s'étendant naturellement à tous les domaines de la vie. La religion, c'est l'immanence, le sacré, une réponse aux interrogations qui taraudent l'Humanité depuis son avènement sur terre. C'est une vision ample, qui embrasse la raison, l'émotion, qui s'adresse à chaque individu comme s'il était le seul destinataire du message. C'est le creuset dans lequel se forgent les valeurs qui permettent à l'Homme de se transcender, de surmonter ses pulsions animales et s'inscrire dans le long fil du développement de l'humanité. C'est elle qui permet à l'Homme de s'élever au-dessus de sa condition, de ses basses contingences, elle encore qui lui permet de se sentir dépositaire d'une mission ardente, celle de vivre comme un receveur et un passeur. Les derviches tourneurs de Turquie et d'Egypte, dans leur ample rotation maintiennent la paume droite levée vers le ciel, la paume gauche dirigée vers le bas. « Je reçois et je donne. Je ne garde rien pour moi. » Telle est la signification de cette attitude. Sans la prescience de cette valeur suprême, l'Humanité n'aurait pas édifié ces palais somptueux, ces mosquées déployant leurs élégants minarets vers le ciel, ces cathédrales. Sans elle, les scientifiques ne se seraient pas usé la santé à la recherche de la compréhension des mystères de l'Univers, des secrets de la médecine et du corps humain. Il n'y aurait pas de littérature, pas de poésie, dans un monde sans transcendance. Sans elle, pas de mosquée de Kairouan, de Damas ou de Cordoue. Sans elle, nous n'aurions pas connu la splendeur de l'Alhambra. C'est le propre des civilisations que de laisser ouverts les immenses champs d'investigation qui constituent notre univers, de permettre aux ressources de l'esprit de se déployer, à l'initiative créatrice de s'exercer. Quand les civilisations déclinent, l'humain se rapproche de sa condition animale. Il ne se sent plus comptable du devenir de la Terre qui l'accueille. Il ne se sent aucune responsabilité vis-à-vis de ceux qui lui succèdent. Il ne participe pas à une œuvre dont il sait qu'il ne lui survivra pas. Il n'a plus le sentiment en effet de constituer un rouage, modeste mais nécessaire, dans la longue chaîne de l'Humanité. L'écrasante majorité des géniaux ouvriers musulmans qui les ont édifiées n'ont pas pu contempler les merveilles auxquelles ils avaient consacré leur sueur et parfois leur vie entière. Mais ces merveilles portent encore aujourd'hui le témoignage de leur valeur et de la grandeur de la civilisation qui a permis à des artisans talentueux mais sans-grade de justifier leur existence en apportant leur participation au développement de l'art. 

Le musulman n'est plus dans cette disposition d'esprit. Il est le négatif de son lointain ancêtre. Sans doute lui arrive-t-il de se poser des questions existentielles, mais il les rejette aussitôt parce qu'elles dérangent le mode de vie qu'il a adopté, à l'instar de l'écrasante majorité de ses concitoyens, un mode de vie fondé sur des règles simples, fournies par une lecture littérale des textes sacrés. Il adopte le même costume que la foule qui l'environne, la même lecture dogmatique comme clé d'interprétation des événements du monde. Il s'acquitte de ses obligations littérales, profession de foi, prière, Ramadhan, Zakat, et il participe aux tirages au sort qui désignent les heureux élus qui pourront se rendre en pèlerinage à La Mecque. Ses conversations ne dérivent jamais vers les sujets « dangereux », susceptibles de l'amener à des interrogations lourdes. Il se contente d'échanger avec les autres sur la meilleure manière de faire ses ablutions, s'il convient que les pieds des prieurs soient maintenus en contact, s'il faut laisser pendre ses bras ou les croiser devant sa poitrine. 

Il subit invasion sur invasion. Il connaît l'occupation coloniale. Il trouve souvent les ressources pour se libérer, mais il n'a pas suffisamment de ressort pour transformer cet affranchissement en émancipation. Il subit l'évolution du monde. Il n'a pas les armes pour y participer, devenir acteur de son destin. Il continue de se contenter du respect de ses obligations dogmatiques, de suivre les enterrements, de s'astreindre à faire la prière à la mosquée. Il sait exactement combien de « Hassanates » (sortes de bons de bienveillance) lui vaut chacun de ses actes. Il en tient une comptabilité scrupuleuse. Il pourrait presque savoir par avance s'il a le compte pour rentrer au Paradis avant même d'avoir rendu l'âme… Tout cela ne constitue pas une identité. Nous sommes des clandestins, des sans-papiers de la civilisation ! La régularisation passe par l'acceptation de notre retour au monde, à ses problèmes, à son océan de questions qui ne peuvent être évacuées par l'enfermement, la négation, l'anathème. Pour cela, il faut abandonner l'idée que la religiosité puisse constituer un substitut, voire une échappatoire à la religion. La meilleure preuve de l'inanité de cette idée est que, à l'ombre de cette religiosité ambiante, se sont développés le mensonge, la corruption, la violence et l'ignorance, qui sont devenus tellement banals qu'ils ne sont même plus vraiment considérés comme des défauts ! 

L'ISLAM ET LA CULTURE RELIGIEUSE 

Le corollaire du rétrécissement du champ de la libre discussion est la perte de l'individu. L'Islam est une religion certes fondée sur la communauté, mais pas une communauté qui n'aurait pour seul souci que d'imposer à ses membres un même costume, des usages identiques, et de veiller à ce qu'ils ne s'écartent jamais de la voie étroite qu'ils suivent de concert. Il ne faut pas perdre de vue que l'Islam est d'abord une religion mais est aussi une civilisation, une manière d'appréhender le monde. Ce n'est pas affaire que de religion. Des chrétiens arabes se définissent comme « chrétiens par la foi, arabo-musulmans par la civilisation ». Feu Ibrahim Souss, écrivain palestinien, chrétien, représentant de l'OLP en France entre 1978 et 1992, avait décontenancé le journaliste français qui l'interviewait sur France2. A la question « Comment arrivez-vous à vivre et à cohabiter avec une majorité musulmane ? », il avait répondu qu'il n'était pas question de cohabitation mais de fusion dans le partage de l'identité culturelle arabo-musulmane. Nous n'en sommes plus là aujourd'hui… Nous sommes dans la crispation et le rejet. 

LA NECESSITE D'ENRICHIR LES CROYANCES ET DE RENOUVELER LES VALEURS 

Force est de constater que les mosquées n'ont jamais été aussi pleines et qu'il n'y a jamais eu si peu de musulmans. Dans le quotidien de chacun, la religion n'a jamais été aussi présente en paroles et jamais si peu dans les conduites. Pour faire face à ce décalage, les extrémistes qui instrumentalisent la religion prétendent détenir la solution : il suffirait, à les entendre, de revenir à la pureté du message originel et tous les problèmes seraient résolus. Cette approche, révélatrice d'une faillite de l'intelligence, est l'une des principales causes de la tragédie des années 90 en Algérie, et de ce qui se passe actuellement dans plusieurs pays musulmans. Or, la solution n'est certainement pas dans le rejet du manteau identitaire arabo-musulman. Ce manteau a considérablement perdu de son lustre en raison de l'étroitesse d'esprit qui a conduit à la situation actuelle. 

UNE APPROCHE FONDEE SUR LA RAISON CRITIQUE MONTRE QUE LES SYSTEMES DE CROYANCE POURSUIVENT TROIS FINALITES PRINCIPALES : 

Elles s'efforcent de réduire l'angoisse de l'Homme au regard de sa finitude, de l'inéluctabilité de la mort. De là découle le discours religieux sur la vie éternelle, sur l'immortalité de l'âme, sur le Jugement Dernier, sur l'Enfer et le Paradis. Elle est, à cet égard, un anxiolytique. En même temps, elle joue un rôle d'antidépresseur face aux drames, aux tragédies qui sont inhérents à la condition humaine. 

Elles produisent des valeurs morales, une éthique, qui sont au fondement d'un code de conduite dont la finalité est de permettre aux hommes de coexister dans la paix : l'interdiction du meurtre, les notions de licite et d'illicite, le Bien et le Mal, la solidarité, la bienveillance, le pardon… 

Elles fondent également des civilisations. Elles abordent en effet les questions essentielles que se posent les hommes : D'où vient le monde ? Comment l'Homme est-il ce qu'il est ?… Elles posent ainsi la question du sens. C'est cette question qui engendre la méditation, la philosophie, l'art, la recherche de la connaissance des mécanismes qui sont en jeu, l'édification de monuments qui traversent les siècles, rivalisant de beauté et de grandeur pour proclamer, face à la réalité de la mort, l'éternité de la vie. 

La dernière finalité, on l'aura compris, est absente. Elle est pourtant la plus importante sans doute. Certains se plaisent à souligner que l'Islam est la cause de l'échec et de l'impuissance des pays musulmans. Non, la cause réside dans l' « oubli » de cette troisième dimension, celle qui qui fait sens et qui élève l'Homme. S'il y a crise, c'est à cette absence qu'elle est due. Elle ne sera donc pas résolue par un surcroît de religiosité mais par un retour des musulmans sur le devant de la scène. Il ne doit pas s'agir de bruyantes rodomontades mais d'un éveil culturel, d'une liberté retrouvée, d'un vivre-ensemble assumé, non pas dans le silence et le conformisme, mais dans le débat permanent. 

Il faut naturellement cesser d'instrumentaliser l'Islam comme l'ont fait ceux qui gouvernent l'Algérie depuis 1962, pour tout justifier, tout légitimer par un habillage religieux : le Parti unique, le « socialisme », la « révolution agraire », la lutte contre les progressistes et, en fin de compte, la dictature qui a prévalu jusqu'à la fin des années 80 et qui perdure d'une façon beaucoup plus insidieuse. L'Algérie a un besoin vital de se mettre à jour, de se moderniser, en se référant à la civilisation dans laquelle l'assigne son histoire. Réintégrer son être culturel après des siècles d'acculturation sera le gage de l'entrée dans une modernité qui ne sera pas un banal mimétisme. 

Il convient de lever le malentendu qui pèse sur le concept de « modernité ». « Modernité », « Modernus », en latin, signifiait à l'époque où ce concept a été créé : « juste maintenant », « récemment ». On opposait la modernité à la tradition. On a oublié la signification originelle du concept pour lui faire dire n'importe quoi, ou en l'utilisant pour camoufler des arrière-pensées inavouables. 

C'est ainsi que, pour les Occidentaux, être moderne, c'est leur ressembler en tous points. A leurs yeux, sont « arriérés » et « barbares » tous les peuples qui n'adoptent pas leur mode de vie, leur façon de penser, leurs mœurs, leurs législations, leurs institutions, leurs concepts, leur imaginaire… En dernière analyse, sous couvert de modernité, il s'agit d'une injonction visant à nous contraindre à adopter l'identité occidentale. Cette injonction est exprimée de manière d'autant plus péremptoire que cette même identité occidentale traverse une crise si grave qu'elle ne s'en remettra peut-être pas. Ce faisant, l'Occident ne contribue pas à « moderniser » le reste du monde, mais il exporte partout où il peut sa propre crise, souvent au nom de sa conception des Droits de l'Homme… 

Or, la modernité ne signifie pas imitation mais capacité d'adaptation aux nécessités de notre temps. C'est l'élan vital qui permet d'aller de l'avant, d'oser, d'entreprendre, de participer à l'aventure humaine. 

C'est cet élan vital que les Algériens doivent s'efforcer de retrouver grâce à une thérapie collective qui passe par l'édification d'une identité commune assumée, sereine, sûre d'elle-même tout en restant disponible à l'accueil d'apports extérieurs. 

Tant que l'on n'aura pas engagé cette thérapie par l'Identité, l'énergie vitale de l'Algérien restera sous le boisseau et il sera quasiment impossible de passer de la velléité à la volonté, pas plus que l'on ne peut accéder à la modernité si on ne peut s'appuyer sur un socle identitaire solide. 

Il n'y a donc pas la fatalité d'une modernité exclusivement occidentale, même s'il faut prendre en Occident ce que cette civilisation a produit de positif dans de nombreux domaines. Elle est en effet aussi porteuse de valeurs universelles et elle a été capable de faire progresser toutes les sciences. Il convient donc de s'inspirer de l'attitude des Japonais au XIXème siècle, sous l'ère du Meiji : Ils ont accepté les sciences et les techniques occidentales, tout en conservant l'essentiel : leur identité. Mais il est vrai que, à l'époque, les Japonais disposaient de ce socle identitaire qui nous fait défaut. 

N'étant pas dotés d'une identité cohérente et solide, les Algériens n'ont même pas été en mesure de mettre à profit la proximité géographique de l'Europe pour y puiser un savoir objectif. A contrario, c'est parce qu'ils ont su retrouver leur identité que les Européens ont été capables de puiser dans la civilisation arabo-musulmane ce qui leur était nécessaire pour produire la Renaissance, époque de basculements historiques dans tous les domaines. 

Modernité et identité sont donc fortement liées. Une modernité sans identité est un facteur supplémentaire d'aliénation et d'abaissement. 

La vraie modernité n'est donc pas incompatible avec l'Islam car rien, dans la religion, n'interdit de créer, d'inventer, d'innover. 

Cette adaptation est une obligation ardente. Elle nous est nécessaire pour, dans l'immédiat, mettre à jour l'économie algérienne pour qu'elle soit en mesure de relever le défi de la mondialisation. 

L'Islam ne s'oppose pas non plus à l'acquisition du savoir dans tous les domaines. Au contraire ! La quête du savoir et sa transmission sont des obligations. Si les musulmans ont décroché depuis des siècles par rapport aux sciences et aux technologies, ce n'est pas pour des raisons religieuses mais parce qu'ils sont privés d'une grande partie de leur énergie vitale. Leur intelligence, leur volonté, sont partiellement inhibées. Là encore, c'est par une thérapie collective que l'on retrouvera énergie, intelligence, volonté, sachant que cette thérapie doit permettre aux Algériens de retrouver un regard positif sur eux-mêmes… 

* Politologue, Université Paris-Descartes Sorbonne 

** Physicien, Université de Cergy-Pontoise 

Lire la suite (14° partie)

Le nœud gordien algérien(Dixième partie)

Le nœud gordien algérien(Dixième partie) : Un régime politique marqué par la confusion et l'inadaptation

par Mustapha Benchenane* & Brahim Senouci**

Nous nous demanderons ici - et puisque nous en sommes à l'analyse des causes de la situation complexe et très préoccupante dans laquelle se trouve l'Algérie - si le « Pouvoir » a sa part de responsabilité et, si oui, laquelle.

UN POUVOIR, PRODUIT DE L'HISTOIRE

Durant la période coloniale, selon les moments et avec une intensité variable suivant la violence de la répression, il y a eu une vraie vie politique algérienne. On peut même soutenir qu'il y avait une classe politique algérienne qui s'est efforcée de jouer son rôle dans des conditions particulièrement difficiles. Une partie d'entre elle a émergé et s'est imposée au début des années 50 en optant pour la lutte armée avec l'indépendance pour objectif.

Il est temps de reconnaître une réalité : si, en 1954, on avait consulté le peuple algérien sur la question de l'indépendance ou de la continuation du lien avec la France, il aurait très probablement voté massivement en faveur de l'indépendance. Mais ce choix ne lui a pas été proposé. Pour autant, ceux qui auraient voté «oui» à l'indépendance n'étaient pas tous prêts à sacrifier leurs vies pour que renaisse une Algérie souveraine. C'est là que s'est inscrite l'action coercitive du FLN et de l'ALN pour que l'ensemble du peuple algérien se trouve sur la même ligne. Les moyens de la dictature ont été utilisés à l'égard des «tièdes», des «mous», des «récalcitrants», et plus clairement contre ceux qui, à tort ou à raison, étaient qualifiés de «traîtres», certains l'étant vraiment, d'autres si peu ou pas du tout.

L'approche binaire l'a emporté : « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous »… Si cette psychologie peut, à la rigueur, s'expliquer en temps de guerre, elle ne se justifie plus une fois l'objectif atteint. L'indépendance acquise, ceux qui ont exercé le pouvoir ont continué à s'inscrire dans cette démarche marquée par le refus du dialogue, de la contradiction, du pluralisme. Ce refus est contenu dans cette apostrophe de Boumediene : « ceux qui ne sont pas contents de vivre sous notre beau soleil n'ont qu'à partir ailleurs ! »

L'état d'esprit induisant le parti unique et la dictature, trouve sa source dans les conditions de la guerre de libération. Il a prévalu après 1962 et il ne s'est atténué, de façon toute relative, qu'à la suite des émeutes d'octobre 1988.

Ceux qui ont assuré la direction du mouvement national à partir de novembre 1954 et qui ont, par tous les moyens, mobilisé le peuple algérien, avaient-ils, pour autant le profil, la compétence, l'envergure, pour diriger un Etat digne de ce nom ?

La personnalité de Ben Bella, premier Président de la République algérienne indépendante, n'est-elle pas, à elle seule, une réponse à cette question ?

En effet, le colonisateur n'a pas vocation à préparer le colonisé à accéder à la liberté. Ce n'est donc pas un hasard si, en 1954, près de 90% des Algériens sont analphabètes et 85% le sont en juillet 1962…

Parfois, l'Histoire, dans des périodes exceptionnelles, produit des personnalités hors du commun. L'Emir Abdelkader était de ces hommes qui marquent l'Histoire. Il est vrai qu'il avait bénéficié d'une instruction très poussée, qu'il avait acquis le goût de la poésie et que sa pratique religieuse était imprégnée de la sérénité et de la sagesse qu'il découvrait en lisant celui qui est demeuré son maître, Ibn Arabi. La guerre de libération n'a pas produit des êtres de cette stature et il en est de même depuis 1962. C'est vrai que son caractère impitoyable, sans merci, ne laissait guère de place à l'instruction, à l'éveil à la beauté des choses. La seule hantise était de demeurer en vie, en infligeant le plus de mal possible à l'armée coloniale. De ce fait, aujourd'hui encore, il n'y avait en Algérie ni femmes ni hommes d'Etat en 1962. Bien que les choses aient radicalement changé avec la libération du pays, l'Algérie n'a toujours pas produit un personnel politique apte à prendre en charge les affaires de la Nation. La responsabilité de cet état de fait n'incombe plus, aujourd'hui, à l'ex-colonisateur. Elle est à chercher dans les profondeurs de la réalité algérienne. Celle-ci est complexe, confuse. Le régime politique l'est tout autant.

LE PASSAGE DE LA DICTATURE A UN REGIME HYBRIDE

Une chose est donc certaine : ceux qui ont pris la direction du pays en 1962 n'avaient aucune expérience, aucune compétence pour édifier un Etat et gouverner un peuple. Ce sont d'abord et avant tout les rapports de force qui ont prévalu dès 1962, et qui ont conduit à l'« élection » de Ben Bella, soutenu par Boumediene, chef d'une armée qui représentait la seule force organisée face à la désolation des maquis et à un peuple épuisé par les sacrifices incommensurables, consentis durant plus de sept années de guerre. Toutes les conditions étaient réunies pour que le pouvoir lui soit confisqué. Acteur, sujet de l'Histoire pendant la guerre, il s'en est retrouvé l'objet et il n'est toujours pas sorti de cette posture en ce début de 21ème siècle.

L'armée a été - et reste dans une certaine mesure - le cœur et l'axe du pouvoir. Elle a été et reste l'épine dorsale de ce qui ressemble de façon assez lointaine à un « Etat ». C'est en juin 1965 qu'elle a pris ouvertement le pouvoir, en organisant un coup d'Etat contre Ben Bella, qui était loin d'être un démocrate. L'armée, dirigée par Boumediene, a installé une dictature militaire, le FLN, parti unique, n'étant que la façade civile de ce régime militaire tout-puissant.

Si une seule chose devait qualifier les dirigeants algériens depuis l'indépendance, c'est leur incompétence. En effet, tous leurs choix se sont avérés désastreux : le pseudo « socialisme », la stratégie de « développement », fondée sur la théorie de « l'industrie industrialisante », théorie échafaudée par l'économiste grenoblois Gérard Destanne de Bernis, tout heureux de trouver en Algérie un champ d'expérimentation. Nous en avons aujourd'hui les fruits amers, sous la forme notamment d'entreprises nationales chroniquement déficitaires, et une industrie en ruine dont les rares fleurons ont été vendus à l'encan, comme le complexe sidérurgique d'El Hadjar. Pour faire bonne mesure, Boumediene a lancé aussi la désastreuse « révolution agraire » qui a ruiné l'agriculture algérienne et la mise en place d'un système « éducatif » qui, loin de développer l'intelligence et l'esprit critique, a injecté dans les cerveaux l'ignorance et l'obscurantisme…

On aurait pu, légitimement, s'attendre à ce que, le temps passant, ces dirigeants gagnent en qualité, en conscience, en lucidité et en pertinence. Il n'en est rien, 53 ans après l'indépendance. Aujourd'hui, il n'y plus l'ombre d'une stratégie de développement mais un saupoudrage destiné à gagner du temps, au prix d'une gabegie des moyens financiers dont dispose le pays, non pas grâce à des richesses produites par le travail des Algériens mais uniquement par les recettes d'exportation des hydrocarbures.

Le régime a une part de responsabilité considérable dans l'apparition et le développement de l'extrémisme à visage religieux, dit « islamisme »… Celui-ci est, en grande partie, le produit des politiques économique, sociale et culturelle menées depuis 1962. Il s'explique pour l'essentiel par des causes internes et non, comme on le dit trop souvent, par des ingérences étrangères, saoudiennes ou autres.

La décennie tragique des années 90 est la manifestation sanglante de cet échec : l'incapacité de ceux qui ont gouverné le pays depuis l'indépendance à faire vivre en paix les différentes composantes du peuple algérien, l'incapacité à assurer et garantir la sécurité de ce même peuple sur l'ensemble du territoire national.

Quant à sa nature même, et cela depuis la fin des années 80, le régime n'est plus vraiment une dictature sans pour autant être une démocratie.

Il n'est plus une dictature car la liberté d'expression est très largement tolérée et pratiquée. La presse, arabophone et francophone, est souvent violente dans ses critiques et dénonciations des faiblesses et des dévoiements de la politique menée par les dirigeants.

Mais il ne s'agit pas d'une démocratie car deux facteurs fondamentaux font défaut : une compétition pacifique pour le pouvoir selon des règles très largement acceptées et scrupuleusement respectées. A cet égard, et dès que l'on touche à l'essentiel, c'est-à-dire au pouvoir, le pluralisme politique apparaît pour ce qu'il est : un leurre… Le second facteur qui caractérise la démocratie et qui n'existe pas davantage en Algérie est l'Etat de droit dont l'élément central est la soumission de l'Etat au droit, ce qui suppose une justice indépendante du pouvoir.

Quant à la corruption, il a déjà été dit dans nos analyses précédentes qu'elle est généralisée en ce qu'elle affecte l'ensemble de la « société » et non pas seulement les dirigeants. A cet égard, les opposants au régime et la presse étrangère s'autorisent une facilité coupable en croyant tout dire lorsqu'ils affirment à propos du régime algérien qu'il est constitué de « généraux corrompus qui détournent à leur seul profit la rente pétrolière ». Ce propos réducteur n'est pas une analyse mais une affirmation qui est loin de recouvrir la réalité dans toute sa complexité.

UN POUVOIR A L'IMAGE DE L'ALGERIE

Le refus ou le manque d'outils d'analyse conduit souvent à accoler l'adjectif « opaque » au Pouvoir… Or, il ne s'agit pas d'opacité mais de pathologie.

Les apparences d'un Etat sont là : des appareils d'Etat, c'est-à-dire une armée, une police, une administration. Mais l'Etat en tant que concept n'est assimilé ni par le peuple, ni par les gouvernants.

Le système d'identification et d'appartenance correspond à des structures archaïques telles que le clan, la région, la zaouïa, l'ethnie, des réseaux clientélistes, des relations de subordination, ceux « d'en bas » attendant une protection venant de « ceux d'en haut », en échange de leur soumission.

Le Pouvoir n'est pas non plus une « assabiya » au sens où l'entendait Ibn Khaldoun, car la « assabya » suppose non seulement l'existence d'un groupe fondé sur la solidarité, mais aussi une cohésion sociale qui fait défaut en Algérie.

Dire également que les Algériens rejettent l'Etat parce qu'il leur rappellerait une autorité étrangère – le beylik ottoman ou la France coloniale – a quelque pertinence mais n'épuise pas la question. La vérité est que, en Algérie, on n'a pas encore accédé au degré d'abstraction que nécessite l'appropriation du concept d'« Etat ». Dirigeants et peuple se rejoignent dans ce déficit dû à l'absence totale de tradition politique en la matière. Le concept de « loi » n'est pas non plus intériorisé notamment parce que ce que l'on présente sous ce vocable est arbitraire et inégalement appliqué…

Ils se rejoignent aussi en ce que la prétendue « opacité » n'est que le reflet du trouble qui caractérise l'identité algérienne…

En forçant le trait, on peut, à l'issue de toutes les analyses auxquelles nous avons procédé auparavant, dire qu'à la « tchaktchouka » identitaire correspond la « tchaktchouka » politique, l'une étant le reflet de l'autre et inversement.

Fondamentalement, il ne s'agit, ni de « généraux corrompus qui détournent à leur seul profit la rente pétrolière », ni d'un régime caractérisé par l'« opacité ». Le problème est bien plus grave : c'est une pathologie très largement partagée. Il ne suffira donc pas, pour résoudre le problème, de remplacer des hommes et des femmes par d'autres hommes et d'autres femmes, ni de chasser une équipe pour la remplacer par une autre, car le mal qui ronge le pays concerne tout le monde. En effet, tout se tient : la « cacophonie » linguistique, l'affaissement de la religion qui ne parvient plus à fonder et à souder une communauté, la perte des valeurs, notamment celles que porte la civilisation musulmane, la mondialisation qui affecte l'identité…

Le régime politique est un des éléments de ce tout. Il est en miroir avec lui…

C'est une approche systémique qu'il faut adopter pour essayer de comprendre la réalité algérienne dans sa globalité, et surtout ne pas isoler l'un des éléments par rapport aux autres auxquels il est lié.

Dans notre prochaine livraison, nous étudierons les causes et les effets d'un mal qui n'est pas spécifiquement algérien mais qui se manifeste dans notre pays avec une acuité particulière, la « haine de soi »…

* Politologue, Université Paris-Descartes Sorbonne

Lire la suite (11° partie )

Le nœud gordien algérien (11e partie)

Le nœud gordien algérien (11e partie) : Identité et haine de soi

par Mustapha Benchenane* Et Brahim Senouci**

La haine de soi, ou autophobie, n'est pas une spécificité algérienne, ni une singularité temporelle. C'est un sentiment qui plonge au fond des âges et qui ne s'est jamais démenti, et qui a touché à des degrés divers une très grande partie de l'humanité.

HAINE DE SOI, HAINE DE L'AUTRE…

Il existe deux expressions de la haine : la haine de l'autre et la haine de soi. Cornélius Castoriadis ne les sépare pas. Elles ont en effet une racine commune, le refus de ce qui est perçu comme étranger. Ce refus n'est pas conscient. Il est lié à ce que Leibniz appelle monade, ici monade psychique, qui constitue l'unité première de l'être, celle qui ne se soumet pas aux influences extérieures, celle qui, en somme, ne fait pas semblant. Un individu qui se socialise doit se soumettre à des conventions, à une norme, même si celles-ci lui répugnent. Il donne l'impression, y compris à lui-même qu'il les a intégrées mais sa monade les refuse parce qu'elle les considère comme étrangères.

La haine de soi peut se définir comme étant le reproche permanent qu'adresse la monade à l'individu de l'avoir contrainte à revêtir une forme non désirée parce qu'étrangère, hostile puisqu'elle la remet en cause. Le philosophe juif Theodor Lessing, dans son livre «La haine de soi juive» paru en 1930, en donne une illustration très éclairante. L'ouvrage retrace les destinées de six juifs allemands, brillants intellectuels, totalement assimilés, tellement germanisés que leur judéité a fini par disparaître, apparemment du moins. Ces jeunes intellectuels avaient totalement intégré les codes allemands, y compris l'antisémitisme de bon aloi qui se pratiquait de manière ouverte, trois ans avant la prise du pouvoir par Hitler. Ces six personnages ont tous choisi de se suicider. Ce sont les raisons, ou plutôt la raison de ces suicides que le livre interroge. Elle réside, selon l'auteur, dans la «haine de soi juive». Leur vie durant, ces jeunes gens se sont évertués à être le plus Allemands possible. Ils ont bien cru y être parvenus et s'être débarrassés pour de bon de toute trace d'une judéité honnie. Ils comptaient sans la revanche de leurs monades qui, elles, avaient gardé la mémoire de ce fond juif qui constituait un élément insécable de leur personnalité.

La haine de l'autre procède de ce même refus de l'étranger. Elle se manifeste contre les individus sociaux dont elle est obligée d'accepter la coexistence. C'est somme toute assez banal. C'est même le moteur principal de la guerre. Pour la faire accepter par la population, on construit la figure de l'ennemi en la dotant d'une altérité irréductible.

LA HAINE DE SOI ET LES «INTELLECTUELS» ALGERIENS

Reprenons l'exemple tragique des six jeunes Allemands qui constitue la trame du récit de Theodor Lessing. Y a-t-il des exemples comparables en Algérie ? Oui, dans une certaine mesure...

Il faut bien le reconnaître. Il y a chez de très nombreux «intellectuels» de notre pays, une sorte de tentation, non pas de Venise, mais de Paris. Le processus qui a été à l'œuvre sur des juifs allemands se retrouve chez bon nombre de nos compatriotes. Il y a certes des différences notables. Ces «intellectuels» algériens sont des anciens colonisés ou des descendants directs d'anciens colonisés que la France n'a jamais vraiment envisagé d'assimiler. A fortiori, ni eux ni leurs aïeux n'ont occupé de positions enviables dans la société coloniale. Ils n'étaient ni «intellectuels», ni grands commis de l'Etat. Durant la période coloniale, ils étaient tout juste de jeunes Algériens discriminés qui portaient un regard d'envie sur la société européenne et le parfum de paradis des bals du samedi soir. Leur rêve était de parvenir à intégrer cette société et à donner un sens à leur aliénation en devenant Français, pleinement Français. Autant dire que l'indépendance a constitué pour eux une sorte de catastrophe, la fin d'un monde au parfum enivrant, et surtout l'irruption de leurs compatriotes, venus des campagnes, dans les villes sur lesquelles ils ont imprimé la face tavelée de la misère. Alors, ils ont décidé d'ignorer l'indépendance et de rallier la France, dans un mouvement semblable à celui qui a poussé naguère des Algériens à devenir harkis et à prendre les armes contre leur propre peuple. Ils ont été rejoints dans ce mouvement par de jeunes «intellectuels» n'ayant pas vraiment connu la colonisation mais qui se sont retrouvés sur leurs positions. Harkis culturels d'un nouveau genre, ces «intellectuels» se sont mis à la disposition de l'ancienne métropole. En quête d'un effacement de la mémoire de ses crimes, celle-ci a offert une caisse de résonnance médiatique à leurs productions «littéraires» consacrées pour l'essentiel à une démolition en règle de l'Algérie indépendante et à la relativisation, voire le déni, du viol colonial. Ils ne sont pas nécessairement stipendiés par le gouvernement français. Leur aliénation consentie, leur désir de ce que La Boétie appelait la «servitude volontaire», sont des incitatifs suffisants, au vu de l'ampleur de leur engagement dans cette campagne. Il est à la hauteur de leur aliénation qui, conjuguée au mépris qu'ils professent pour leur peuple, constitue la forme algérienne et intellectuelle de la haine de soi.

Ainsi, tel journaliste concède du bout des lèvres que «la colonisation a été un crime» et professe aussitôt son admiration pour la France. Tel autre va encore beaucoup plus loin quand il déclare que «les pieds-noirs ont fait d'un enfer un paradis». Dans le même mouvement, il réaffirme ainsi envers l'ancien colonisateur une allégeance à laquelle l'indépendance de l'Algérie n'a rien changé, et son immense mépris de sa part algérienne. Ce même personnage continue de donner des gages sans cesse renouvelés, sans cesse plus intenses, de sa complète adhésion au modèle occidental. D'autres encore promènent sur les plateaux de télévision parisiens une vision de l'Islam «plaisante», dans laquelle il n'est guère question d'immanence ou de sens, mais de hammams érotiques et de libations sans fin. Bien sûr, il n'est pas souhaitable qu'ils connaissent la même fin que leurs prédécesseurs juifs allemands mais peut-être, entre deux libelles à la gloire de la colonisation, devraient-ils prendre le temps de lire Lessing…

LA HAINE DE SOI, ENTRE SOI

Hannah Arendt, philosophe juive allemande (antisioniste !), pointe dans son livre «Sur l'antisémitisme» l'existence d'une forme spécifique de racisme, non pas celui des étrangers vis-à-vis des juifs mais entre juifs. Frantz Fanon, dans «Peau noire, masques blancs», note le même phénomène de la haine du noir pour le noir. La haine de soi se traduit par la haine du même. L'image du même est insupportable parce qu'elle est un rappel de la condition dégradée de soi. Ce mécanisme est bien connu dans le monde arabe où se déclinent à l'infini des hiérarchies mouvantes. Mais c'est sans doute en Algérie qu'il trouve son expression la plus achevée. Personne ne mettra autant d'éloquence, de fureur, de conviction dans la démolition de l'Algérien, de l'Algérie qu'un(e) algérien(ne) ! Cette haine interne trouve de multiples traductions dans la vie courante. Alors même qu'ils subissent les mêmes problèmes, nos compatriotes se révèlent majoritairement incapables de s'associer pour y faire face. Des collectifs se créent ça et là, sur des problèmes de ramassage d'ordures ou d'alimentation en eau. Ils sont hélas éphémères. Les forces centrifuges nées de la permanence du soupçon envers l'autre ont vite fait de les faire exploser. Le mode de raisonnement est gouverné par cette variante de la haine de soi. Un exemple : quand il s'agit de collecter de l'argent auprès de copropriétaires ou de colocataires d'un immeuble pour des travaux d'intérêt général, le préposé à cette tâche a le plus grand mal à s'en acquitter. Même quand les contributions demandées sont minimes, elles rentrent difficilement ou pas du tout. C'est que chacun présuppose que l'«autre» ne paiera pas. Chacun trouve insupportable l'idée qu'il pourrait payer pour l'»autre». Il exigera donc la preuve préalable que l'»autre» a payé avant de consentir à le faire lui-même. Le problème, c'est que l'»autre» est exactement dans la même disposition d'esprit. Tout cela débouche sur l'immobilisme. L'immeuble se dégrade. Les équipements collectifs tombent en panne les uns après les autres. Les habitants prennent l'habitude de marcher sur des escaliers jonchés d'ordures, plongés dans une obscurité que brisent ça et là les méchantes ampoules que chacun aura placées au-dessus de sa porte pour ses besoins personnels…

IDENTITE ET HAINE DE SOI

Nous avons longuement disserté sur l'identité dans une précédente livraison. C'est qu'elle est probablement au cœur du problème. L'identité se forge sur une mémoire longue, celle des événements successifs qui ont façonné l'Algérie et les Algériens. C'est l'accumulation au cours des siècles de ces strates qui fait l'identité algérienne. Ceux de nos «intellectuels», dont il est question au début de ce texte, qui sont tenaillés par le désir d'en changer prennent-ils la mesure du grand écart auxquels ils se livreraient ? Croient-ils vraiment qu'on peut changer d'identité comme on change de chemise ? Les jeunes intellectuels juifs dont Lessing retrace la descente vers l'abîme ont cru vraiment s'être délestés d'une histoire juive millénaire qui leur faisait horreur. Ils ont vraiment cru qu'ils avaient définitivement intégré le cœur de la brillante civilisation germanique et que leur destin était désormais lié à celui de l'Allemagne. On connait la suite…

L'enjeu demeure celui de l'accès à la modernité, à l'universalité. On peut être tenté d'emprunter le raccourci qui consiste à se défaire de l'identité héritée pour endosser celle d'en face, qui a déjà accompli sa mue et nous permettrait d'être directement en prise avec l'universel. Illusion… L'imitation de l'autre ne peut constituer une identité. Comme le disait Jacques Berque : «C'est l'identité et non l'imitation de l'autre qui permet d'accéder à l'universel».

ORIGINES DE LA HAINE DE SOI, SOUS SA FORME POPULAIRE Et la population là-dedans ?

L'Algérie est sans doute le pays où le mépris est le mieux partagé. Le peuple méprise les «intellectuels», peut-être parce qu'il leur reproche inconsciemment de ne pas jouer le rôle d'éclaireurs qui devrait être le leur. De plus, il les soupçonne d'avoir plus ou moins partie liée avec le Pouvoir. Ceux-ci le lui rendent souvent très bien. Ils n'ont pas de mots assez durs pour le qualifier. Leurs écrits se distinguent généralement par une absence totale d'empathie. Tout le monde déteste le Pouvoir mais tremble à l'idée qu'il pourrait s'effondrer. Personne ne croit en effet que d'autres Algériens que ceux qui sont aux commandes pourraient faire mieux que ceux-ci. Ils préfèrent donc garder cet original incompétent, corrompu, plutôt que de lutter pour pouvoir tester d'autres solutions, qu'il condamne par avance.

Lorsque, historiquement, on a été vaincu, humilié, opprimé, exploité, lorsque, ayant été vaincu, on nie votre personnalité, votre culture, votre identité, que se passe t-il dans l'inconscient individuel et collectif ? La réponse est : «je ne vaux rien « ou «pas grand-chose «, «je mérite le mépris que l'on m'inflige». On en arrive à s'inférioriser, à se mépriser, à se haïr soi même. On n'a plus l'estime de soi, le regard que l'on porte sur soi est fondamentalement négatif, on se dévalorise. On projette les uns sur les autres cette image négative de soi. Et parfois, cela se traduit par la violence, sans limite, car la violence qui nous a été infligée, on la projette, on la tourne contre l'autre, contre les autres. Habituellement,, les Hommes sont dans une relation en «miroir» et ils veulent que l' autre leur renvoie une image fidèle d' eux-mêmes. Faute de quoi, l'autre les dérange dans sa différence et ils peuvent devenir agressifs, voire violents envers lui.

S'agissant de l' Algérien, c' est parce que l' autre -algérien comme lui - lui renvoie une image fidèle de lui même, qu' il devient agressif, et parfois violent. Pourquoi ? Parce que cette image fidèle de lui-même, en miroir, le renvoie à son identité confuse, dissociée, en conflit avec elle-même. Comme cette image fidèle de lui-même lui est insupportable, il la rejette en agressant l' autre, son semblable, son jumeau, son double, et bien sûr, inversement, la même réaction va de soi. Le conflit, avant d' être avec les autres, est d' abord avec soi-même, et c'est ce conflit interne que les Algériens projettent les uns sur les autres. Cela se traduit et s' exprime dans tous les actes de la vie. Surtout, on ne sort pas mentalement de la condition de colonisé, de forçat. Nietzsche, dans le «Gai Savoir», plus précisément dans le poème n°32, «L'asservi», écrit :

COMME TOUT HOMME QUI PORTA JADIS UNE CHAINE

Il entend partout – cliquetis de chaîne

Il y a aussi le phénomène de la «répétition» qui consiste à répéter, inconsciemment, au détriment d'autrui ce que l'on a subi, ce dont on a souffert soi même. Ainsi, durant la «décennie tragique», les protagonistes ont «rejoué» la guerre d'Algérie contre le colonisateur : les méthodes, la propagande, les comportements reproduisaient ceux que l'on a connus pendant la guerre de libération. Il s'agit d'une névrose collective qui n'a pas été soignée. Au contraire, tout a été refoulé. Donc, le retour du refoulé risque d'être terrible.

Le discours dominant est un discours d'auto dévalorisation globale. Il n'y a rien à sauver, aucune perspective à tracer, aucun horizon à atteindre, juste retarder la rencontre fatale avec le précipice annoncé. Malheur à celle ou celui qui voudrait déranger cette chronique du désastre. Il trouverait face à lui une population déterminée à l'en empêcher !

La décennie sanglante hante les mémoires. Elle a donné une illustration concrète, tragique, des effets de la haine de soi. Mais elle n'a pas permis de la questionner.

Le silence institutionnel a été établi par l'adoption au pas de charge d'une «concorde nationale» qui a refoulé ce questionnement, laissant ainsi la possibilité d'incendies futurs. Cette épreuve, qui a coûté des centaines de milliers de vies humaines, aurait pu être le Bala'ou el hassan, un mal pour un bien, si elle avait permis de sonder notre inconscient collectif pour y chercher les racines de la haine de soi, les racines de la violence. C'est précisément sans doute la haine de soi qui a permis au Pouvoir de fermer aussi facilement la parenthèse de cette sanglante période. Quel autre peuple que le nôtre aurait accepté que des dizaines de milliers de morts soient passés par pertes et profits sans qu'il comprenne comment et pourquoi cela est arrivé, comment se prémunir contre un remake futur ? Aucun, sans doute… Surprenant ? Non. Un autre peuple que le nôtre, qui aurait arraché son indépendance au prix de sacrifices terribles, au bout d'une période coloniale qui lui a coûté des millions de morts, une acculturation sans équivalent dans le monde, la misère, l'analphabétisme, pourrait-il produire des citoyens porteraient aux nues les bourreaux d'hier, qui regretteraient à voix haute leur départ, qui plaideraient pour leur retour, qui s'ingénieraient à vouloir les rejoindre ? C'est le cas du nôtre. La rue bruisse de discours regrettant la fin de l'époque coloniale, au motif que nous serions incapables, ontologiquement incapables de nous administrer, de nous gouverner. Ainsi, nos millions de morts sont renvoyés à une absence de sens, à une absurdité. La seule grille de lecture permise serait celle qui comporterait notre inutilité, et donc l'inanité de l'idée que notre sacrifice puisse changer quoi que ce soit à la marche du monde. C'est à travers elle que nous nous percevons, elle qui nous enjoint de rester immobiles et de laisser s'accomplir un destin sur lequel nous n'aurions de toutes façons aucune prise… Nous pourrions tout au plus hâter l'échéance en laissant libre cours à la tentation suicidaire qui nous taraude, celle qui nous indique de sa voix doucereuse que rien ne sert à rien et que, le terme étant connu, il nous reste la possibilité de commander l'heure de la fin dernière en allumant un grand feu purificateur…

Vision pessimiste ? Voire. La seule maladie dont on est sûr de ne pas guérir est celle qui n'est pas diagnostiquée. Souvent, des malades s'abstiennent de consulter quand ils ressentent des malaises de peur de «savoir» ! En Algérie, c'est un phénomène très répandu. Des cancérologues, des diabétologues, des cardiologues se plaignent souvent de ces consultations tardives qui mettent au jour des pathologies tellement avancées que les chances de guérison sont infimes. Prises en charge plus tôt, elles auraient pu être contenues et sans doute soignées.

Il en va de même pour l'Algérie. Nous traînons ce mal depuis longtemps. Nous pensons qu'en le cachant, il finira par disparaître. Au fond de nous-mêmes, nous savons qu'il n'en sera rien et qu'il aura raison de nous. Mais nous préférons faire semblant de l'ignorer. Nous faisons de l'ignorance une vertu cardinale. «Ignorer quelque chose, c'est l'empêcher d'exister», faisons-nous semblant de croire. Peut-être préférons-nous un lent suicide à la prise à bras-le-corps de nos problèmes existentiels ?

Il y a une certaine porosité entre les Algériens d'Algérie et ceux de France. La malvie se transmet, tout comme la haine de soi et la pulsion suicidaire.

La sociologue Nacéra Guenifi analyse la montée du vote Front National dans les cités-ghettos françaises à la lumière de l'observation ci-dessus.

Le glissement vers le vote extrême fait culminer la pulsion d'autodestruction que plus rien ne permet de sublimer. Le désamour de soi pousse au vote suicidaire. Il est le pendant à la situation dans ces cités dans lesquelles les habitants s'appliquent mutuellement, la tolérance zéro, sans pitié et sans concession. L'urbanité a été remplacée par l'incivilité de gens auxquels on a dénié le fait d'être civilisés. La violence et l'insécurité sociale se sont épanouies dans ces non-rapports qui ne pouvaient qu'être invective. Rien, les plus fragiles ne se passent rien : ni le regard forcément de travers, ni l'absence de regard forcément méprisant, ni le bavardage, ni le mutisme, ni le bruit et les odeurs, ni l'invisibilité, ni la couleur de la peau, ni sa blancheur, ni la tenue, ni l'absence de tenue. Tout est prétexte à rejet et représailles. La haine de soi et de l'autre a trouvé là un terrain de prédilection, véritable laboratoire d'un monde sans rémission, sans pardon…

Ces mêmes catégories ont été à l'œuvre, et elles le sont toujours, dans la montée de l'extrémisme en Algérie. Si on n'y prend garde, elles accoucheront de ce monde sans pardon…

* Brahim Senouci, physicien, Université de Cergy-Pontoise

** Mustapha Benchenane, politologue, Université Paris-Descartes Sorbonne

Lire la suite (12° partie )

Le nœud gordien algérien (cinquième partie)

Le nœud gordien algérien (cinquième partie) : L'échec et la gabegie au plan économique

par Brahim Senouci * & Mustapha Benchenane**

Des indicateurs indiscutables :

52 ans après la libération, l'Algérie continue à dépendre à 97 % des hydrocarbures pourses recettes en devises. Ces mêmes hydrocarbures constituent 35 % du PIB et fournissent à l'Etat 60 % de ses recettes fiscales.Le taux de croissance annuel est de l'ordre de 3 %. Or, les prévisions des démographes prévoient qu'en 2025, l'Algérie comptera 46,5 millions d'habitants dont plus de 70 % seront en âge d'arriver sur le marché de l'emploi. Au vu de ces prévisions, le taux de croissance devrait être supérieur à 8 % pour absorber une telle main-d'œuvre. Le montant des transactions sans facture s'élèverait durant les trois dernières années à 155 milliards de dinars, ce chiffre bien en dessous de la réalité selon les experts.Sur les 35000 importateurs inscrits sur le registre du commerce, 15000 figurent dans le fichier national des fraudeurs. Le montant des fraudes s'élèverait à 10 milliards d'Euros. L'économie informelle représenterait près de la moitié du PIB. En dépit de son immensité et de son potentiel connu depuis l'Antiquité, l'Algérie serévèle actuellement dans l'incapacité de nourrir sa population. Son agriculture n'intervient qu'à hauteur de 7 % dans la construction du PIB. Le gouvernement n'a pas d'autre choix que de recourir à l'importation massive de produits alimentaires.        Une bonne partie du pactole pétrolier et gazier y est consacrée. Au contraire de ces besoins qui sont naturellement permanents, la ressource qui sert à les satisfaire actuellement est non renouvelable. Nul besoin d'être expert pour comprendre qu'une telle politique mène droit dans le mur. De plus, le gouvernement n'a même pas la maîtrise des prix des hydrocarbures. Ils sont soumis à des fluctuations dues à des causes qui lui échappent, l'avènement des Etats-Unis comme nouvel exportateur, le refus de l'Arabie Saoudite de réagir à la baisse des prix, attitude que lui interdit son dogme bien connu, qui accorde la priorité au maintien, quel qu'en soit le coût, de ses parts de marché.

Une politique insoutenable

Dopée par une aisance financière totalement artificielle, due à une conjoncture miraculeuse qui a poussé les prix des hydrocarbures vers des sommets inédits, les gouvernements algériens ont cédé à la tentation d'utiliser cette manne pour acheter la paix sociale. Une politique de soutien des prix pour des produits de consommation courante tels que l'huile, le sucre ou l'essence, d'octroi de subventions en tous genres, de prise en charge de la totalité des frais médicaux et pharmaceutiques pour les pathologies durables… a poussé les transferts sociaux à des montants irréels. Ils s'établissaient à vingt-deux milliards de dollars pour l'année 2014, soit le tiers des rentrées en devises.  Loin de prendre en compte les nouvelles réalités du marché des hydrocarbures, le gouvernement a choisi la fuite en avant en faisant voter un budget pour 2015 qui prévoit un déficit de 22 % ! Songeons que les pays de l'Union Européenne se sont étripés parce que certains d'entre eux avaient des déficits légèrement supérieurs au montant maximal autorisé, qui est de 3 % ! La loi de finances prévoit pour 2015 une hausse des dépenses publiques de 15,7 % par rapport à celle de 2014. Les prémisses de la banqueroute sont là. Si elle n'est pas encore arrivée, c'est grâce au matelas des deux-cent milliards de dollars sur lequel le gouvernement devra puiser pour équilibrer ses comptes.

C'est ce qui s'appelle mettre en gage les bijoux de famille pour des dépenses non productives, dont la seule utilité est de maintenir une paix sociale bien précaire. Dans le même ordre d'idées, le pouvoir a ouvert les vannes d'une importation tous azimuts. Le parc automobile a ainsi explosé. Les marchés sont copieusement achalandés en fruits exotiques. Les produits textiles, les téléphones portables, issus le plus souvent de Chine, s'étalent dans nos vitrines. L'Algérie est le pays méditerranéen, hors Union Européenne, qui importe le plus et qui exporte le moins. Les milliers de sociétés d'import-export créées pour capter une part de cette richesse fabuleuse sont appelées par dérision les sociétés d'" import-import ". Il y a certes des investissements utiles, telles que la construction de l'autoroute Est-Ouest, le développement du chemin de fer, le métro d'Alger ou les tramways d'Alger, d'Oran et de Constantine. Il faut relativiser ces " succès " en rappelant que les énormes prélèvements indus, du fait de la corruption, ont multiplié les coûts jusqu'à les rendre exorbitants. A titre d'exemple, l'autoroute Est-Ouest a coûté trois fois plus cher que la moyenne internationale, tout en étant de bien moins bonne qualité. Le reste est à l'avenant.

Gabegie

Les surcoûts cités plus haut relèvent naturellement de cette catégorie. La corruption est un cancer de la société algérienne. Elle plombe l'économie. D'autres pays la connaissent. Ils font avec et parviennent à limiter ses effets et leur économie demeure compétitive. En Algérie, elle atteint des niveaux tels que l'édification d'une économie efficace est de l'ordre de l'impensable. Mais ce n'est pas tout…

Il y a également des problèmes structurels. On peut citer les entraves que constituent, en plus de la corruption déjà citée, une bureaucratie pesante, décourageante, et une totale insécurité législative. Les lois sont votées, abrogées, modifiées, interprétées d'une façon parfaitement absconse et avec une coupable légèreté. Les dirigeants des entreprises publiques, mais aussi privées, et leurs cadres se révèlent incapables de les organiser de manière rationnelle, de former leurs cadres, de mettre en place des démarches qualité afin, entre autres, d'obtenir des certifications nécessaires, gages de qualité des produits et de présence sur les marchés internationaux. Ces cadres fonctionnent dans une sorte de fièvre permanente, inutile, qui les conduit à l'improvisation, à un management d'impulsions, sautant d'une urgence à l'autre, d'une priorité à l'autre. Quant à exporter et à s'inscrire en tant qu'acteurs dans le concurrence mondiale, il n'en est même pas question ! Il y a donc une conjonction fatale entre un système politique qui décourage l'innovation et la prise de risque d'une part, et la mentalité archaïque des entrepreneurs installés dans une routine stérile d'autre part.

Un exemple éloquent vient à l'esprit. A la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont proposé à l'Europe le fameux Plan Marshall, destiné à l'aider à se relever de ses cendres. Doté de l'équivalent de 120 milliards de dollars en valeur constante, ce plan, réparti sur quinze pays, leur a permis de se reconstruire, de se moderniser et d'amorcer la dynamique qui a donné trois décennies de croissance continue, de plein emploi et d'élévation sans précédent du niveau de vie, les fameuses " trente glorieuses ". Depuis 1962, l'Algérie a accumulé en devises, par la vente de ses hydrocarbures, l'équivalent de 10 à 15 fois le Plan Marshall. Est-il besoin de rappeler l'insignifiance des résultats au regard de l'immensité des sommes dépensées ?

Plusieurs questions viennent à l'esprit. Les plus fréquentes ont trait à la destination réelle des fonds engagés depuis l'indépendance. Mais la question centrale concerne l'inadéquation scandaleuse entre les fonds investis et l'insignifiance des résultats. C'est de la réponse à cette question que dépend l'avènement d'un développement réel. Un rapport récent de la Banque Mondiale, intitulé " Doing Business " donne un classement de 189 pays sur la base des critères suivants : facilité de création d'une entreprise, facilités d'obtention d'un prêt, facilité d'obtention d'un permis de construire. Sur les 189 pays examinés, l'Algérie se situe à la 153ème place…

Un peu d'optimisme

On pourrait dire de façon un peu ironique qu'une petite partie de la richesse a été détournée de ses destinations principales qui sont le gaspillage et la corruption, au profit d'authentiques avancées sociales. Citons l'aide au logement, l'accès à la propriété, l'électrification des campagnes, l'accès à l'eau potable, la généralisation de l'éducation, le processus en cours de généralisation du gaz de ville, l'accès aux soins qui se traduit par l'augmentation notable de l'espérance de vie et le recul de la mortalité infantile. Un bémol, toujours le même. L'argent qui a permis cela vient aussi de la vente des hydrocarbures. Que le prix baisse, comme c'est le cas en ce moment, ou que ces ressources viennent à disparaître ou à être remplacées par des sources alternatives plus respectueuses de l'écologie, et ces conquêtes seraient totalement remises en cause. Ce chapitre clôt la partie de notre document qui concerne les symptômes.

C'est celle qui se prête le moins à la polémique. Dans la suite, nous nous attacherons à identifier les causes de cette situation peu reluisante. D'ores et déjà, nous pouvons noter que le mal est profond, complexe et grave.

* Physicien, Université de Cergy-Pontoise

** politologue, Université Paris-Descartes Sorbonne

Lire la suite (6 eme partie )

   

PUBLICATION DU Pr KHELIL .2

Curieux endroit qu'a choisi le Pr KHELIL pour situer le déroulement de son histoire. Ce choix en réalité n'est pas fortuit: ce phénomène de la file d'attente révèle l'un des malaises chroniques que ressent le citoyen algérien. Pour les deux acteurs de ce roman ce lieu constitue l'observatoire idéal pour scruter, observer et sentir physiquement le resenti de ce malaise social. Le dialogue des deux amis, l'un agronome l'autre journaliste, passe en revue tous les problèmes qui empoisonnent la vie quotidienne de l'algérien. Dans l'épilogue l'auteur propose des solutions basées sur des études scientifiques qui doivent accompagner une réforme en profondeur de notre système socioéconomique et donc politique. Comme d'habitude chaque publication du Pr KHELIL constitue une nouvelle contribution positive  au débat national.A.B

Couverture chos files dattente

   

POINT DE VUE

L’OLIVIER : CE SYMBOLE DE RÉSISTANCE ET DE  L’IDENTITÉ PALESTINIENNE VANDALISÉ PAR                      LES COLONS SIONISTES HAINEUX ET CRIMINELS

_______________________________________

Abdelkader KHELIL*

Depuis l’Antiquité, l’Histoire nous a appris que l'olivier occupe une place de choix dans les civilisations méditerranéennes et l'esprit des hommes et des femmes qui les composent. Il symbolise tout au moins pour les trois religions monothéistes : la paix, la sagesse et l'harmonie. En fait, il a toujours été considéré comme l’arbre vital des peuples méditerranéens vivant dans son aire géographique de prédilection, mais aussi, pour de nombreuses communautés dans le monde qui ne cessent d’apprécier fortement son huile et ses vertus médicamenteuses.

   C’est dire, que l’acte de conserver, de défendre et d’élargir la culture de l'auguste olivier est un impératif croissant à l'heure où le monde cherche désespérément les moyens et les ressources végétales lui permettant de s'adapter au changement climatique, alors que l’empire du mal avec ses armes de destruction massive, sa stratégie et politiques de non développement global s’entête à dégrader notre planète pour imposer son esprit mercantile, dominateur et destructeur au service d’intérêts égoïstes de sa minorité hégémonique.


Lire la suite...
   
7770417
AUJOURD'HUI
HIER
CETTE SEMAINE
CE MOIS
All days
4942
4573
30037
79348
7770417

   

avril

26

vendredi

   

METEO MASCARA

Météo Mascara My-Meteo.fr